Et si le succès annoncé de "Zodiac" (sortie sur 332 écrans, grande salle de l'UGC Bercy complète cet après-midi) reposait sur un quiproquo ? Car si les spectateurs viennent pour retrouver les composantes de "Se7en", s'ils espèrent un thriller linéaire avec un enquête rondement menée pour identifier un serial killer ayant le souci de rendre ésthétiques ses mises à mort, ils risquent fort d'être déçus.
Il y a bien un serial killer, et même un précurseur du genre, de même que le flic Toschi a servi de modèle à Steve McQueen dans "Bullitt" et à Clint Eastwood pour "L'Inspecteur Harry". Mais ce fameux Zodiac ne présente pas les caractéristiques d'un Hannibal Lecter ou d'un Norman Bates : il n'utilise pas systématiquement le même mode opératoire, laisse des survivants involontaires, et ses mises en scènes mortuaires sont minimalistes, comparées à celles de John Doe. On a d'ailleurs l'impression que le Zodiac ne commet ses crimes qu'afin d'avoir de la matière pour nourrir sa correspondance mégalomaniaque avec la presse.
Il y a bien une enquête, qui commence classiquement, avec des lettres, des messages codés, des indices et des fausses pistes. Il y a donc un enquêteur principal, l'inspecteur Toschi, joué par Mark Ruffalo qui compose un étrange hybride de Poncherello et de Columbo, et qui est secondé par Anthony Edwards, le Marc Green d'Urgences. Il y a aussi le reporter qui mène une enquête parallèle en piétinant les plates-bandes de la police, joué par un Robert Downey Jr pacinien.
Mais imperceptiblement, l'enquête dérape, et la narration avec elle. Le comportement du Zodiac devient incohérent, les investigations patinent, gênées par des conflits de juridiction et des oppositions d'experts. Les rebondissements elliptiques succèdent aux péripéties sans suite, rythmées par la litanie des panneaux "Trois jours plus tard" qui par leur répétition finissent par nous faire perdre la notion du temps écoulé, à la fois celui du film lui-même, et aussi celui de cette enquête qui s'éternise.
Et l'on comprend que le vrai sujet du film, c'est l'obsession de la vérité et les ravages de la frustration, et qu'il est normal que le spectateur se retrouve aussi perdu que tous ceux qui se sont brûlés les ailes dans cette vaine recherche. De même, l'utilisation de la caméra vidéo HD Viper Filmstream prend tout son sens, parce qu'elle permet de capter des scènes peu éclairées, et au vert dominant de "Panic Room" succède le marron oppressant des sous-sols, des archives ou de l'appartement de Robert Graysmith. Loin des produits holywoodiens standardisés, "Zodiac" est un véritable film d'auteur, austère et brillamment maîtrisé, qui trouve toute sa place à Cannes à la suite des oeuvres de Soderbergh ou de Gus Van Sant.
http://www.critiquesclunysiennes.com/