Avec « Knock », Louis Jouvet clôt sa carrière cinématographique comme il l’avait commencée. En 1950, il tourne sous la direction de Guy Lefranc, son avant-dernier film, le prestigieux acteur mourant quelques mois après la fin du tournage. En 1933, pour sa deuxième apparition sur grand écran, il avait mis en scène lui-même l’adaptation de la pièce de Jules Romains qui fut l’un de ses plus grands succès au théâtre (1923, 1935 et 1938). Guy Lefranc qui réalise son premier film se contentera d’assister Louis Jouvet qui visiblement ne se lasse pas de ce rôle taillé sur mesure pour lui par l’écrivain puis présenté en première à la Comédie des Champs Elysées le 15 décembre 1923. L’acteur, sans doute un peu vieillissant, n’en n’a que plus d’assurance pour entrer une fois encore dans le costume de cet
escroc de grande envergure dont l’arnaque repose sur la maxime désormais célèbre : « Tout homme bien portant est un malade qui s’ignore » qui avalise de la pire des manières la théorie du marché depuis poussée à l’extrême, qui veut que le produit devant répondre à un besoin, il n'est pas inutile de créer puis de promouvoir celui-ci. Par extension, la publicité sera dès lors le meilleur vecteur de produits dont personne n’a réellement besoin. Knock, docteur Diafoirus aux connaissances plus que douteuses, est l’archétype du self made-man à l’américaine tout à la fois entrepreneur, directeur financier et directeur marketing qui, certes de manière rudimentaire mais aussi très pertinente, utilise déjà toutes les données issues des études de marchés, faites de taux de pénétration et de segmentation de clientèle
. La charge au vitriol de Jules Romains frappe juste en exposant le paradoxe consubstantiel à une pratique médicale découlant de la nature contradictoire de l’homme. En théorie, le meilleur médecin est celui qui éduque ses patients pour que prenant soin de leur corps et de leur psychisme, ils finissent par venir le voir le moins souvent possible. Mais le médecin doit bien vivre ainsi que son collègue pharmacien et ses amis laborantins. La théorie se heurte dès lors rapidement à la réalité. La fable acerbe de Jules Romains formidablement construite, nous montre comment un village vivant jusque-là dans l’insouciance et la bonne humeur finit en quelques semaines par devenir terrorisé par la peur de tomber malade. Cent ans plus tard, la santé est devenue un élément central de la vie des individus au sein des sociétés occidentales dont l’équilibre du mode de vie n’a malheureusement pas progressé autant que les techniques médicales qui occultent désormais trop souvent la question de la prévention évoquée plus haut. Il s'agit donc, à la manière du docteur Knock, d'encourager la dépendance de ces mêmes individus à une médecine de plus en plus pointue et hors de leur champ moyen de compréhension. L’aspect un peu théâtral de la réalisation ne nuit pas au plaisir de voir le grand Louis Jouvet déployer son talent dans un de ses rôles fétiches (avec Volpone), qu’il sait peut-être interpréter pour la dernière fois. Il se laisse donc aller à un cabotinage assez marqué que toutefois, il compense sans peine grâce à son autorité naturelle et à sa prestance inégalable. Un film porté par la force de son sujet et par son acteur qu’il n’est pas inutile de revoir en ces temps qui courent. Près de vingt ans plus tard, le transalpin Luigi Zampa, avec « Il medico della mutua » (1968), actualisera le constat porté par Jules Romains avec le non moins grand Alberto Sordi pour dénoncer un système pouvant très vite se teinter d'une forme de perversité encouragée par la complicité tacite qui s'est au fil des décennies installée entre le praticien et son patient. Difficile pour l'homme d'accepter son humble condition de mortel. Une humilité de plus en plus battue en brèche par un progrès technique confinant parfois à la religion.