C'est un film qui commence par des photos en noir et blanc de scènes de crime où la pose grotesque des cadavres le dispute à l'horreur froide d'une mort violente, un film qui montre ensuite le suicide d'une femme qui se fait exploser la tête d'un coup de pistolet, son sang écarlate éclaboussant l'émail immaculé d'une baignoire, à peine le générique de début achevé, et qui poursuit ainsi l'énumération par le détail de crimes crapuleux jusqu'au final dans lequel les deux coupables sont exécutés sur la chaise électrique avec, comme dans tout le film, le souci scrupuleusement naturaliste de tout décrire, de tout montrer, jusqu'à la nausée. Si l'on m'avait présenté le film de cette manière, nul doute que je l'aurais évité. Et c'est un film à éviter. Les acteurs jouent plutôt bien leur rôle respectif (sauf Travolta qui est trop hiératique), le traitement de la lumière et la photo sont magnifiques - congratulations au chef op' -, la réalisation sans esbroufe sert bien le récit, et le montage dans plusieurs séquences est habile, voire ingénieux. Alors, où est le problème ? "Cœurs perdus" est un film ignoble et immonde. Pendant une heure et demie, nous suivons deux pourritures de la pire espèce, deux êtres monstrueux, sans foi ni loi, pervers et psychopathes, menteurs et meurtriers. Ce que le film semble parfois chercher à saisir est le moment où un être décide d'être déicide, l'instant où, consciemment, volontairement, il renonce au Salut et choisit Satan. On songe par instants à "Angel Heart" mais ici l'on est loin du chef d'œuvre éprouvant d'Alan Parker. Si nous sommes tous appelés à être sauvés, si nous sommes tous sous la Grâce de Dieu qui nous est offerte, certains d'entre nous se retranchent sciemment du nombre, ils s'excluent eux-mêmes, ils choisissent la fascination infernale du gouffre, les abîmes vertigineux de la damnation, le Néant contre l'Être, la mort contre la vie, le Mal contre le Bien. On sent et l'on sait dès le début du film que même l'arrestation des criminels ne changera rien, ne "réparera" rien. Buster (John Travolta) ne pourra jamais retrouver la paix intérieure car, pour des raisons différentes, il évolue dans le même univers mental et spirituel désolé, ravagé, perdu. La seule question qui se pose alors est de savoir pourquoi ce film a été fait. Quel est le message ? Quel est le but ? Aucun personnage attachant - des tarés ou des paumés -, pas de caméra subjective, aucun point de vue auquel se rattacher. C'est un constat froid, extérieur, clinique. La propagation et le triomphe du Mal sont filmés avec une totale complaisance. Des femmes, poussées au désespoir par les mensonges d'êtres cyniques, se suicident ; des femmes enceintes sont assassinées, parfois à coups de marteau ; une femme est tuée en plein coït ; son corps, secoué de spasmes, que la vie refuse de quitter, gît à côté du lit dans lequel les malfrats, excités par leur propre abjection, forniquent ; une très jeune fillette est noyée dans la baignoire et son corps sera jeté dans la caisse qui contenait le tricycle qu'on venait de lui acheter ; les assassins n'éprouvent jamais aucun remords pour les atrocités qu'ils ont commises ; etc. Non seulement les événements décrits sont abominables, non seulement rien n'est épargné de la perversion sexuelle qui anime ce couple de maudits, mais il faut rappeler que ce film relate des faits réels ! Le cinéma a tendance à enjoliver le réel. Or, dans ce cas précis, il s'agit d'un couple d'assassins condamnés à la chaise électrique pour les meurtres de plus de vings femmes et enfants ! N'y a-t-il pas des vies plus intéressantes et édifiantes à mettre en images et à présenter aux spectateurs ? Le but de ce film n'est donc, à aucun moment, de dénoncer ou de condamner des actes horribles ou des pratiques abominables, mais bel et bien de flatter nos bas instincts et d'essayer de nous captiver par la "spirale infernale". Dans ce film abject, le spectateur assiste, effaré, médusé, à une succession d'images salaces, sordides, sadiques, à des dialogues crus et vulgaires où rôde la fascination pour l'horreur et l'ordure, dans un monde d'une noirceur totale peuplé de flics idiots, d'un inspecteur à la dérive et de deux psychopathes tarés. Aucune rédemption n'est à attendre ou à espérer dans cet univers poisseux de l'après-guerre qui suppure et où suintent de partout la misère, le malheur et le Mal. Ce n'est donc pas un cornet de pop-corn qu'il faut avoir sous la main pour regarder ce film, mais un grand sac en plastique. "Cœurs perdus" est un film à vomir. (http://autopsie-du-monde.over-blog.com/article-coeurs-perdus-lonely-hearts-killers-critique-cinema-58606159.html)