L'originalité de L'Exorcisme d'Emily Rose semblerait, à première vue, tenir en tout et pour tout dans la construction de son intrigue : débutant après que l'exorcisme ait été réalisé (tout comme Reservoir Dogs s'ouvrait sur l'avant puis l'après braquage, sans jamais montrer l'évènement en question), il s'attachera à contrario à révéler, étape par étape, comment s'est déroulé le combat contre le démon et le décès, à l'issue, de la jeune et belle Emily Rose (c'est à peu près tout ce qui la caractérisera). Pour ce faire, il emploiera une narration non-linéaire composée de séquences présentes vécues et de flashbacks narrés.
Narrés au cours du procès du prêtre qui a vaincu le démon : il s'agira donc de déterminer, de toute sa longueur, s'il ment ou non. Intéressant, d'inverser les rôles : celui qu'on est censés suivre aveuglément, puisqu'il incarne le dernier rempart du bien contre le mal, est ici remis en question jusque dans son honnêteté profonde : L'Exorcisme d'Emily Rose se permet de partir sur une vision proche du réel, où l'on douterait, en tant que spectateur du procès, de la véracité de tels témoignages.
Il apporte enfin ce que Conjuring : Le Cas Enfield touchera maigrement du doigt une décennie plus tard : quelle serait notre réaction, et qui déciderait-on de croire, si les évènements d'un film d'horreur dépassaient le cadre du cinéma en basculant dans notre monde? En s'inspirant d'une affaire réelle (le décès en 1975, suite à 70 exorcismes, de la jeune allemande Anneliese Michel), L'Exorcisme d'Emily Rose retransmet une fidélité de recomposition d'une scène de jugement occultant totalement la banalité de son horreur, trop typée série b pour marquer.
C'est qu'elle va à l'encontre de son intrigue : la partie épouvante, incapable de repenser les effets de l'époque, rabat les mêmes codes éculés d'une façon à peine renouvelée par son contexte de flashbacks. Datées et sans grand impact, ces scènes pensées comme horrifiques témoignent d'un film incapable de s'extirper du cadre des oeuvres passables mais peu marquantes du genre, principalement du fait de son esthétique téléfilm de luxe des années 2000 aux effets tous attendus : les hurlements en gros plan, les maquillages inconstants complètent les modifications du cadre de l'image bien kitschs (la distorsion au ralenti se comptant parmi les pires à employer, il l'emploie à de multiples reprises).
A l'instar de sa photographie (qui laisse entrevoir ce à quoi ressemblera le reste de la carrière de Scott Derrickson dans l'horreur, notamment lorsqu'il réalisera Délivre nous du mal), encore trop sombre aux séquences horrifiques, la mise en scène se montre beaucoup plus à l'aise lorsqu'il s'agit de filmer le déroulé du procès. Elle organise mieux les sentiments, les émotions, présente des personnages solides qui interagissent entre eux avec justesse; comme si Derrickson était plus intéressé par le fait de mêler deux films cultes (L'Exorciste et Philadelphia) que de filmer des scènes d'horreur peu inspirées.
Lui qui accoupla une nouvelle fois l'exorcisme avec un autre registre, le thriller cette fois, avec le sympathique Délivre nous du mal déjà cité, invite le spectateur à l'interprétation. Si l'on pouvait croire au départ que le seul point original du film résidait dans son intrigue à la construction particulière, il suffit de terminer L'Exorcisme d'Emily Rose pour se rendre compte de l'intelligence de ce qu'il apporte au genre : la subjectivité.
Film interactif s'il en est, il a le talent malin de laisser tout un tas d'indices pour tromper son spectateur : les uns, dont je fais partie, seront tout aussi légitimes (et paradoxalement illégitimes) lorsqu'ils avancent que le prêtre ne ment pas que ceux qui pensent le contraire. La faute aux arguments crédibles et logiques proposés par l'opposition au procès, et la présence inattendue mais essentielle de manifestations étranges dans le présent : à l'image de ce qui s'est passé dans la maison des Rose, tient-on ici un danger imminent ou une preuve supplémentaire de la superstition proche de la paranoïa de ceux qui sont touchés, de près comme de loin, par l'affaire?
C'est en effet là que réside, au final, l'intérêt rafraîchissant de ce petit film d'esprit démoniaque (qui ne vaut pas grand chose pour ses scènes d'épouvante) : en ne confirmant ni n'infirmant jamais, pas même dans sa dernière image, la véracité du témoignage du prêtre, il entre dans une relation unique avec son public : celle d'un cinéma qui n'impose pas mais propose des pistes d'analyse et d'interprétation, et qui dépasse le simple stade du divertissement. En laissant la place au doute, il évite d'être rangé dans la case des variantes simplistes du cinéma d'épouvante porté sur la possession, et parvient à questionner la vision que le spectateur porte sur le sujet, ainsi que sur les éléments clés que doit proposer un film de genre pour amener du neuf à son public : à défaut de choquer, il fait ce que peu d'oeuvres d'épouvante font, remettre en cause l'idée que le public se fait d'un film avant d'y entrer, puis modifier entièrement son jugement et son implication au moment de le laisser s'en aller.