Avant de fissurer l'espace-temps, le Speedy Gonzales de DC Comics a surtout traversé les galères. Valse des réalisateurs, scénaristes engagés puis remplacés à la chaine (Deadline en dénombre 45 !), tournage reporté, sortie repoussée, budget hors de contrôle, déboires de l'acteur principal Ezra Miller,... Si on fait le compte, The Flash a coûté dix ans et 220 millions de dollars (au minimum). Difficile à croire vu le résultat, nouveau cas d'école concentrant à lui-seul tout ce qui précipite le genre dans la médiocrité.
Il existe probablement un univers dans lequel The Flash s'en tient à une comédie dramatique d'1h45 bâtie autour d'un héros acceptant de faire son deuil. Dans le notre, ça ne peut pas suffire. Il faut lancer plusieurs fils narratifs, mettre des blagues partout, ressortir du formol les vieilles gloires, multiplier les clins d'œil et déverser une marée d'effets spéciaux.
On a donc droit au trauma de Barry Allen, la naissance de Flash, le méli-mélo temporel, le buddy-movie, le retour de Bat-Keaton, l'apparition de Supergirl, la tournée des invités surprises
,...Au pauvre Andy Muschietti (Mama, Ça) de se coltiner le sale boulot et de se brûler les doigts avec cette formule instable qui dissout les idées aussi vite qu'elle les amorce.
Le cœur du récit est écrasé devant un spectacle de marionnettes intégralement tourné vers les blagues, les transitions nébuleuses et l'exhibition peinturlurée. Pour les personnages, le bilan est salé. Ezra Miller met toute son énergie dans un double-rôle prometteur, sauf que l'outrance écrase sa bonne volonté. Les admirateurs du Batman version Burton en seront pour leur frais, Michael Keaton a été embauché comme hochet pour faire illusion une poignée de minutes. Le comédien n'a pas caché son incompréhension devant le script et ça se ressent tant le personnage n'a rien à faire là. Supergirl n'a pas droit à plus d'égards. Passé une convaincante introduction, Sascha Calle en est réduite à froncer les sourcils et beugler pour tout le reste du long-métrage. Et ce ne sont pas les pires apparitions. Pour éviter d'en dire trop, on va juste dézoomer sur le dernier gros problème (directement lié), l'aspect visuel.
The Flash a bel et bien remonté le temps, aussi bien dans sa diégèse qu'en dehors. Depuis quelques années, on constate une régression technique indiscutable dans la plupart des blockbusters, liée à des plannings de fabrication intenable et à l'exploitation des équipes d'infographistes. Le film d'Andy Muschietti atteint un nouveau cap dans le domaine en affichant un recul de vingt ans (!), ce qui en fait le plus laid depuis Black Panther. Les incrustations et textures sont d'un autre âge, doublures numériques et deepfakes refoulent le périmé ; aucune chance d'y échapper puisque les fonds verts représentent la majorité des plans. Entre le rire et l'effroi, à vous de choisir.
Des bonnes choses, il y en a. Uniquement par petits bouts. Une idée par-ci, une vanne par-là, une moitié de scène sympathique, un dialogue pas mal, une représentation du temps intéressante (mais moche, évidemment), un mystérieux antagoniste à sa place,... De petits morceaux épars à dénicher sur une une mosaïque informe, schizo et totalement vaine, à l'image de ces uberblockbusters s'efforçant de cocher toutes les cases d'un cahier des charges pour au final ne ressembler à rien. Dix ans d'efforts pour ça, espérons que le calvaire s'arrête là.