La réalisatrice se souvient : "J'ai rencontré Philippe Caubère en réalisant une interview pour l'édition DVD de trois de ses spectacles. J'ai alors vu et lu tout ce qui était disponible, et j'ai eu un coup de foudre immédiat pour son extraordinaire travail, que je ne connaissais que de loin. Ensuite, lors de cette interview chez lui, j'ai eu un coup de foudre pour l'homme ! (...) J'ai commencé à rêver de le suivre au quotidien et d'assister directement à tout ce qu'il évoquait en parole (...) Le dispositif que je souhaitais ne prévoyait pas d'interview à proprement parler, mais privilégiait les moments de dialogue spontanés, nés de telle ou telle situation favorable, en espérant un crescendo de confiance et de complicité au fur et à mesure du tournage. Philippe a répondu positiviment à l'ensemble de mes requêtes, au-delà de mes espérance (...) Il m'a proposé d'habiter sur place et donc de partager sa vie en continu, pour filmer quand je le souhaitais, sans mettre aucune frontière (...) L'équipe était réduite à sa simple expression : j'étais seule ! Une situation inédite pour moi, mais c'était le deal avec Philippe."
Avec ce film, Anne-Laure Brénéol tente de percer le mystère de la création. Elle souhaitait donc filmer les différentes étapes de ce processus. "Je savais dès l'écriture que je voulais montrer le travail de création dans son intégralité, dès l'origine et surtout pas les coulisses d'une représentation", précise-t-elle. "Le travail au sein de la maison, dans son antre, revêtait à mes yeux une importance toute particulière. C'est là que se situe le mystère principal, la genèse de la création, comment tout cela sort-il de sa tête, et quel chemin empruntent ces mots et gestes avant d'y entrer à nouveau une fois mis en forme ? En même temps, je voulais absolument suivre la pièce jusqu'à son terme réel, la rencontre avec public, et en cela il était nécessaire de l'accompagner à Avignon."
Personnalité atypique du théâtre français, le Marseillais Philippe Caubère s'est lancé, à partir des années 80, dans une aventure scénique au long cours : Le Roman d'un acteur, série de spectacles dans lesquels il conte avec humour et passion des épisodes tragi-comiques de sa vie d'homme et de comédien, à travers le personnage imaginaire de Ferdinand -un autre cycle, baptisé L'Homme qui danse, suivra. Plusieurs de ces pièces seront filmées par Bernard Dartigues, notamment Les Enfants du Soleil, Les Marches du palais et Jours de colère. Caubère acteur a par ailleurs prêté ses traits à deux autres personnes ayant réellement existé : Molière, dans le film-fleuve signé par sa complice Ariane Mnouchkine et Joseph Pagnol, le père de Marcel, dans le diptyque d'Yves Robert La Gloire de mon pere-Le Château de ma mère
En plein Caubère est le premier long métrage documentaire d'Anne-Laure Brénéol. Née en 1970, elle a déjà signé pour le petit écran plusieurs documentaires portant sur des sujets de société, comme la scolarisation des enfants tzigane, le pèlerinage des Gitans ou le quotidien des nomades en balieue parisienne. En 1993, elle signait un court-métrage de fiction, La Ballade d'un condamné, avec Rufus et Vernon Dobtcheff.
Le "modèle" Philippe Caubère fait part se sa réaction de spectateur : "Je sais comme il est parfois difficile pour ceux que je caricature dans mes pièces de me voir malmenés comme je le fais, même s'ils savent que c'est parce que je les aime. Il est aussi difficile, je crois, de se voir comme ça, saisi, surpris, épié, alors qu'on est en train de jouer sa vie, aussi bien sur la scène qu'à côté, d'avoir peur, de prévoir le pire, de trembler. (...) Je ne peux que parler de ce sentiment d'horreur, de se voir ainsi dénoncé et puis, après, au contraire, de celui -oh, non pas d'amour, ni d'auto-admiration... on aimerait tellement être autrement qu'on est !-, mais plutôt de compréhension. Sinon de compassion. Oui, voilà : d'auto-compassion." De son côté, la réalisatrice qui précise que le comédien n'a exigé aucune coupe, note : "le premier visionnage l'a beaucoup secoué, violenté et l'a même rendu malade, physiquement... Il a pris conscience de choses qu'il ignorait, lui qui passe sa vie à la raconter et à la représenter ne se voit jamais, en dehors des captations de spectacle."
Anne-Laure Brénéol évoque deux moments forts du film, et tout d'abord la séquence au cours de laquelle le comédien imite Johnny Hallyday : La transformation de Caubère en Johnny au fil des répétitions est stupéfiante (...) la voix, le phrasé, la gestuelle, d'un seul coup, Johnny apparaît, il est là, et pourtant leur ressemblance physique à la base n'est pas flagrante ! Ça représente un travail colossal..." La réalisatrice a également capté un accès de colère de l'acteur, à l'issue de la première du spectacle : "Loin de goûter un apaisement bien mérité, on nage en plein cataclysme... Et là, la violence de sa réaction est à la mesure de la tension éprouvée. Dès l'instant même de ce dîner, j'ai su qu'il ferait partie du montage final. C'est un vrai rebondissement (...) Cette crise fait partie intégrante du travail, c'est une situation inédite, surprenante pour le spectateur."