Il est des films dont l'importance va bien au-delà de l'objet purement filmique. C'est le cas de "Indigènes", particulièrement aujourd'hui où le président Chirac annonce la revalorisation des pensions des anciens combattants d'Afrique, gelées depuis la décolonisation, et revendiquée à la fin du film. Présenté dans le cadre de la sélection française au Festival de Cannes, couronné par un Prix d'interprétation masculine collectif, il est le premier film dont les quatre têtes d'affiche sont issues de l'immigration à être projeté dans 460 salles et promis à un succès certain.
Tout cela est bel et bon, et sans doute mérité. Mais reste le film en lui-même, qui doit quand même être analysé en tant que film. Je me demandais en regardant certaines scènes ce qu'auraient dit les critiques si elles avaient montré des soldats français ou américains : il y a fort à parier qu'ils auraient alors souligné le côté convenu, voire désuet de bien des situations, l'aspect artificiel de certaines scènes (la rencontre entre Messaoud et Irène, ou les discours du colonel), ainsi que la longueur de l'ensemble.
Rachid Bouchareb revendique d'ailleurs ce clacissisme : "Je voulais que ce soit un film de genre, comme tous ceux qu'on a vu : "Un Pont trop loin", "Le Pont de la rivière Kwaï", "Il faut sauver le soldat Ryan", pariant sur le fait d'utiliser cette trame classique pour renforcer l'intérêt du public pour cet épisode délibéremnt oublié dans les manuels d'histoire, jusqu'au plan des soldats plantant le drapeau tricolore en haut de la colline, décalque de la photo de Joe Rosenthal à Iwo Jima.
Soit. Mais la qualité du film est ailleurs, dans certains détails, comme la relation ambivalente entre le sergent pied-noir et ses hommes, à la fois garant de l'ordre colonial vis-à-vis de ses subordonnés dont il refuse de se reconnaître semblable, et à la fois porte-parole de leurs revendications en direction de la hiérarche ; ou encore comme le personnage de Saïd, sorte de doux fada tout autant méprisé par ses camarades qu'il est exploité par son sergent, jusqu'à ce qu'il se rebelle.
Le dernier tiers du film est sans doute le plus intéressant, parce que dépouillé de toute volonté démonstrative. Rachid Bouchareb a reconnu avoir voulu clore le film en concentrant le destin d'une armée de 300 000 hommes en un remake des "Sept Samouraïs", où une poignée d'hommes acceptent finalement de se sacrifier pour des villageois qui leurs étaient pourtant étrangers. La référence à "Il faut sauver le Soldat Ryan" s'impose aussi, renforcée par la scène finale au cimetière ; mais là où chez Spielberg un vétéran revenait montrer à ses enfants les tombes de ses compagnons d'armes, ici c'est un vieil homme seul et déraciné qui se recueille dans un cimetière désert, parabole de l'oubli dans lequel l'histoire officielle a reclus ces soldats venus libérer ce qu'ils appelaient encore la mètre patrie.
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