Véritable entreprise de démolition du western classique, « Vera Cruz » est le film d’un franc-tireur qui va dynamiter Hollywood de l’intérieur, ouvrant grand la voie aux Fuller et Peckinpah à venir. Sans oublier Léone qui va s’y nourrir abondamment. Dans son geste même, « Vera Cruz » est à la croisée des chemins : western "historique" où les rapports entre les Etats-Unis et le Mexique, la guerre de Sécession, les colonies sont parties prenantes de l’histoire, mais dont les personnages font preuve d’un cynisme tout droit sortis du film noir. Aldrich se montre en effet d’un pessimisme (quasi) total sur les rapports humains. Que ce soit l’amitié, la loyauté, l’amour, tout est corrompu par les bas instincts qui animent les protagonistes. Et si le personnage de Cary Cooper sauve l’honneur en se ralliant finalement à la cause mexicaine, c’est plus par dépit que par réelle conviction. Car tout au long du film, la cupidité, l’égoïsme et amoralité de tous et toutes interdisent constamment la fraternité et l’entraide. Véritablement nihiliste, « Vera Cruz » est un geste radical anticipant le western Spaghetti qui apparaît une dizaine d’années plus tard. Et, tout comme dans la trilogie des dollars de Sergio Leone, notamment pour « Le Bon la brute et truand», ce nihilisme est constamment tempéré par le rythme joyeux insufflé au film. Ce jeu de dupe qui tourne autour de l’appropriation d’un trésor est prétexte à des péripéties enlevées, des rebondissements, des tromperies qui tiennent habituellement plus du film d’aventure que du western.
Seul (petit) bémol, l’interprétation outrancière de Burt Lancaster, tout en sourire carnassier, qui fait basculer son personnage dans la bouffonnerie et en amoindri la puissance subversive, le rendant un peu trop caricatural face à la complexité d’un Cary Cooper crépusculaire. Mais il fallait sens doute ce vernis de comédie pour faire passer un « héros » aussi immoral.
L’ensemble est d’une belle rugosité et « Vera Cruz » demeure un jalon important entre classicisme et modernité, annonçant dans un geste qui allie, entre grand spectacle hollywoodien et pessimisme d’un auteur, la puissance frondeuse du nouvel Hollywood. C’est aussi l’affirmation d’un cinéaste majeur qui n’aura de cesse de fustiger notre société et nos vices. A la fois drôle et tragique, « Vera Cruz » se suit comme un film d’aventure tout en étant un voyage au cœur de nos pulsions les plus destructrices.