Nous sommes en Angleterre, dans un futur proche. Un régime totalitaire s'est installé en profitant du chaos créé par les guerres et les épidémies, et le chancelier Adam Sutler, sorte de Big Brother inspiré par les neo-conservateurs religieux, aboie sur tous les écrans du pays. Seul un homme résiste : il se fait appeler V, et porte un masque et un déguisement qui évoque Guy Fawkes, pendu pour avoir tenté de faire sauter le parlement le 5 novembre 1605. Lors d'une action terroriste spectaculaire à cette date anniversaire, V annonce que l'année suivante, il fera sauter le Parlement.
Il sauve une jeune femme, Evey Hammond, des griffes des sbires du pouvoir, lointains cousins des drougs d'"Orange Mécanique". Les parents et le frère d'Evey sont tous morts en résistant contre la dictature, et si elle cherche à vivre comme tout le monde, l'irruption de V va bouleverser sa vie. Une course s'engage alors entre l'inspecteur Finch, qui découvre peu à peu ce qui unit toutes les victimes de la vengeance de V, les sinistres miliciens de Creepy, l'âme damné de Sutler, et Evey et son Pygmalion, qui lui fait découvrir "Le Comte de Monte-Cristo" (la version de 1934, avec Robert Donat), une autre histoire de vengeance.
Quelle étrange acharnement du cinéma contre l'Angleterre, berceau de la démocratie et un des rares pays à n'avoir pas connu la dictature depuis plusieurs siècles ! Depuis "Farhenheit 451" (quand Evey se réveille chez V, sa chambre est envahie de livres), "Brazil", "Titus" et "Richard III" nous racontent un futur immédiat ou un passé recomposé où les fascistes auraient pris le pouvoir sur les bords de la Tamise. La faute à Orwell, sans doute... Mais quand les frères Wachowski ont écrit leur scénario, c'est clairement à l'Amérique de Bush qu'ils pensaient. Le discours de Sutler est nationaliste, homophobe, obsédé par le terrorisme, et anti-musulman (un personnage est exécuté parce qu'il conservait un Coran) : ça ne vous rappelle rien ? Et quand on découvre que les attentats chimiques qui ont fait des dizaines de milliers de morts étaient l'oeuvre des partisans de Sutler, on ne sait si on doit penser aux pratiques des généraux algériens ou aux mensonges de Colin Powell.
Le scénario est parfois un peu confus, dans une volonté d'en faire trop dans la parabole, et la réalisation n'évite pas certaine facilités "matrixiennes", comme la stylisation de la violence. Mais le film évite la surrenchère d'effets spéciaux et d'explosions pyrotechniques, propre aux adaptations de comics, et l'histoire prime sur le clinquant du tout-venant hollywoodien.
Natalie Portman est parfaite, avec ou sans cheveux, dans le rôle de cette jeune femme qui doit d'abord apprendre à vaincre sa peur avant de se sentir libre de choisir, évoquant par moment Jean Seberg dans "Saint Joan" d'Otto Preminger. Le réalisateur utilise à fond l'idée du masque, et dans les scènes sombres, l'émotion est finalement renforcée par le contraste entre la tension des propos et le rictus narquois du masque, jusqu'au baiser échangé entre Evey et V, la lèvre effleurant la porcelaine...
Comme dans "Man Inside" (c'est drôle comme une même idée peut surgir au même moment dans deux films), V distribue des masques pour se dissimuler dans la foule et se démultiplier. Et l'image des milliers de sosies masqués débordant pacifiquement les soldats qui protègent le parlement ne manque pas de souffle, dans ce film à la fois baroque et sobre.
http://www.critiquesclunysiennes.com/