Voici donc le cinquième opus de la saga du petit sorcier à lunettes. Il s’agit d’une expérience littéraire et cinématographique différente des autres sequels que nous inflige le cinéma d’aujourd’hui, vu que dès le départ on savait qu’il y aurait sept tomes, et que le dernier chapitre de l’ultime épisode a été écrit par J.K. Rowling avant même la publication du premier livre.
La particularité de cette démarche entraîne toute une série de conséquences. Tout d’abord, au lieu de devoir gérer comme dans "Shrek" ou "Pirates des Caraïbes" une inflation de personnages qui diluent l’intrigue, la ligne narrative reste centrée sur le trio Harry-Hermione-Ron, ainsi que sur la révélation progressive du lien qui unit Harry au Seigneur des Ténèbres, et à l’inévitable disparition de l’un d’eux –ou des deux ? Réponse le 21 pour les anglicistes… - Des personnages passent, adjuvants momentanés, comme Cho Chang. D’autres disparaissent, un par épisode à partir de "La Coupe de Feu". D’autres enfin prennent de l’importance, comme Neville, Luna ou Ginny, invités ici à participer au duel final du Département des Mystères.
Deuxième conséquence, l’évolution de la tonalité de la saga. Non seulement celle-ci évolue avec le cursus de la promo d’Harry, mais la différence de rythme entre la croissance biologique des acteurs et celui de la production de tels films, nécessitant chacun deux ans entre la préparation et le tournage, débouche sur une maturation accélérée : difficile de donner 14 ans à Daniel Radcliffe ou à Emma Watson (quant à Rupert Grint, cela fait déjà deux épisodes que sa mue pubertaire est achevée). Nous sommes loin de l’univers enchanté du premier film, où seule la dernière séquence annonçait la violence du combat engagé. D’ailleurs, la tonalité se manifeste déjà par la température de couleur : depuis le "Prisonnier d’Azkaban", les teintes chaudes des couloirs de Gryffondor éclairés à la torche ont laissé la place à une palette digne des détraqueurs. Et il est donc cohérent que le sentiment adolescent d’injustice et d’abandon d’Harry domine ce dernier film, toutefois de façon moins pesante que dans le livre.
Troisième remarque : malgré la succession des réalisateurs, l’unité de l’ensemble est maintenue. Entre la précision des romans de J.K. Rowling, dont le nombre de pages augmente à chaque tome, et une charte plastique incontournable, il y a visiblement peu de place pour l’expression personnelle du metteur en scène, à l’exception peut-être d’Alfonso Cuaron qui avait su profiter du virage narratif du "Prisonnier d’Azkaban" pour exprimer avec maestria la noirceur qu’on peut retrouver dans "Le Fils de l’Homme". Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les producteurs ont préféré à Jean-Pierre Jeunet, un instant pressenti, et qui avait pourtant montré sa capacité à intégrer une saga avec "Alien 4", le néophyte David Yates moins susceptible de trop marquer le film de son empreinte.
L’augmentation du nombre de pages des livres a conduit à des ellipses, voire même à des coupes sombres : le rôle de Kreattur et l’histoire de la famille de Sirius Black sont à peine effleurés, alors que la visite aux parents de Neville à l’Hôpital Sainte-Mangouste est carrément supprimée ; quant à l’évocation de l’humiliation de Severus Rogue par le jeune James Potter, elle nous est juste montrée de manière incidente, alors que cet événement explique pourtant la haine du professeur de potions contre Harry, et que dans le livre, celui-ci est secoué par la vision de la méchanceté d’un comportement bien éloigné du mythe familial.
Ce cinquième film pâtit des faiblesses du livre, à mon avis le moins bon des six déjà parus. Apparemment abandonné de Dumbledore, éloigné de Sirius, injuste avec ses amis, Harry fait du surplace, et l’intrigue aussi. L’essentiel du récit repose sur sa confrontation avec Dolores Ombrage, qui apparaissait dans le roman comme une sorte d'Annie Wilkes (l'héroïne de "Misery"). Le choix d’en faire un ectoplasme de Barbara Cartland affadit le duel, même si la vision de son bureau aux murs couverts d’assiettes où se prélassent des matous, ou celle de Rusard couvrant une paroi des édits de l’inquisitrice sont assez réjouissantes.
Les meilleurs passages sont sans doute les essais balbutiants des élèves de l’Armée de Dumbledore, où David Yates réussit à restituer les petits riens qui font le sel d’un apprentissage, les fous rires des filles, la mine vexée des garçons et la joie de tous quand Neville le balourd réussit enfin son sortilège. On espère simplement que pour les deux derniers épisodes, les producteurs accepteront de miser sur le savoir faire d’un grand réalisateur plus que sur l’accumulation d’effets spéciaux afin de rendre pleinement justice à une œuvre qui a su comme son héros s’émanciper des codes de l’univers enfantin pour viser une autre dimension.
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