Un mois seulement après la sortie de Mr Smith au Sénat, James Stewart fait son apparition dans un western, la première d’une longue série.
En 1939, le western, genre déclassé au cours de la décennie, retrouve ses lettres de noblesses grâce à quelques réalisations emblématiques (La Chevauchée fantastique par exemple). En cette fin de décennie, plusieurs studios y vont de leur fiction cinématographique dans les contrées sauvages du Far West : United Artists produit La Chevauchée fantastique, la Fox offre Sur la piste des Mohawks, la Warner propose Les Conquérants et la Paramount adapte Pacific Express. C’est donc dans cette continuité qu’Universal Pictures propose à son tour un long-métrage du genre qu’on considère comme le plus américain de tous, et participe à la production de Femme ou Démon.
Le studio souhaite faire tourner James Stewart dans ce registre, pour le sortir de sa zone de confort qu’il a acquise avec deux films de Frank Capra : Vous ne l’emporterez pas avec vous (1938) et Mr Smith au Sénat (1939).
Pour concrétiser son projet, le producteur Joe Pasternak envisage d’adapter la nouvelle de l’écrivain américain Max Brand intitulée « Destry Rides Again » (1930), qui a déjà été portée à l’écran en 1932 par Tom Mix. Mais le scénariste Felix Jackson n’est pas convaincu par le choix de James Stewart et préfère modifier l’histoire en racontant, chose inédite pour l’époque, l’histoire d’un shérif qui ne croit plus aux armes. C’est aussi Jackson qui propose d’ajouter le personnage féminin de Frenchy, absent de la nouvelle, en pensant déjà à Marlène Dietrich pour le rôle.
Mais les cadres d’Universal Pictures ne sont pas emballés à l’idée de voir le duo Stewart-Dietrich en tête d’affiche. Le premier est jugé d’apparence trop menue et fragile pour jouer le rôle d’un shérif qui impose la loi, quand la deuxième est méprisée par les producteurs depuis son échec cuisant dans le film anglais Le Chevalier sans armure, en 1937.
Finalement, Pasternak parvient à imposer son choix. Stewart signe tout de suite mais Dietrich est d’abord récalcitrante. Dans le livre Marlène Dietrich par sa fille, biographie de l’actrice écrite par sa propre fille, Maria Riva, cette dernière raconte son souvenir du jour où, durant l’été 1939, un producteur d’Universal contacta Dietrich pour lui proposer le rôle. Un récit croustillant qui montre une fois encore le caractère bien trempé de l’actrice, qui refuse d’abord la proposition avant de finalement l’accepter, conseillée par son mari et le réalisateur Josef von Sternberg. Pour preuve du creux que Dietrich était en train de traverser dans sa carrière, le cachet de 75 000 dollars qu’elle accepte pour le film est peu au regard de ses précédents revenus.
Quoiqu’il en soit, le tournage peut enfin commencer avec les deux acteurs souhaités par Pasternak. Et là où les producteurs craignaient de voir en James Stewart un shérif peu crédible, à l’inverse de l’image que l’on se fait de ce célèbre représentant de la loi, le scénariste Felix Jackson en fait une force pour son discours. Brouillant d’abord les pistes en faisant de Tom Destry un vulgaire couard, un jeune homme qui passe son temps à tailler des ronds de serviette en bois, une fragilité renforcée par l’aspect fluet de l’acteur décrié par les producteurs, Jackson surprend le spectateur en lui donnant un talent inouï pour le maniement des armes, tel un nouveau Lucky Luke. Et c’est grâce à ce don que le nouveau shérif va pouvoir commencer à renverser l’ordre établi et ramener la paix dans la ville.
D’un ton très comique, il serait pourtant réducteur de considérer Femme ou démon comme une simple farce ou une sympathique comédie westernienne. En effet, certaines scènes sont loin d’appartenir à ce registre, en témoigne la mort du regretté Dimsdale, et surtout, celle de Frenchy.
D’autres séquences sont clairement anthologiques et méritent le détour. D’abord, le règlement de compte renversant entre Marlène Dietrich et Una Merkel. Dans un premier temps, le réalisateur envisage de faire doubler les deux actrices. Mais la publicité future d’une bataille épique obtient raison du cinéaste, qui laisse Dietrich et Merkel s’affronter réellement et sans doublure, prenant tout de même la précaution d’installer une infirmerie près du plateau de tournage. La presse, plus tard convaincue par cette séquence, la décrit comme « le plus beau match de boxe depuis Tunney et Dempsey ».
Une autre scène franchement comique est celle de la rencontre mouvementée entre Destry et Frenchy, dans un face à face tendu où la jeune femme, touchée dans son orgueil, met à sac le saloon et jette tout ce qu’elle trouve à la figure de l’étranger insolent.
Dans ce rôle attachant qui donnera un second souffle à sa carrière (un rôle d’ailleurs initialement attribué à Paulette Goddard, la vagabonde des Temps Modernes), Marlène Dietrich incarne une saloon-girl tiraillée entre son affection naissante pour Destry et son devoir auprès de son tyrannique et méprisant patron Kent. Touchante, l’actrice se démarque aussi dans plusieurs interprétations musicales douces ou entrainantes, dont celle de Little Joe the Wrangler.
La relation entre Dentry et Frenchy est aussi attachante que le sont les personnages. Plusieurs seconds rôles tendres suscitent également l’empathie, comme ceux de Dimsdale, qui voit dans sa nomination au poste de shérif une excellente raison pour se défaire de sa dépendance à l’alcool, et de Callahan, un russe soumis au début du film mais qui finit par s’affirmer. De l’autre côté, le rôle du truand Kent est magnifiquement interprété par un Brian Donlevy charismatique et méprisable. L’émotion et le drame sont au rendez-vous et se mêlent habilement à un humour parfois un peu niais mais toujours apprécié. Toutefois, le film souffre de certaines longueurs et séquences monotones. De plus, certains jeux d’acteurs sont parfois un peu exagérés, comme celui du barman.
La publicité autour du film fut très importante et demeure peut-être l’une des raisons de son succès sur le sol américain. Un accueil si favorable que George Marshall, ayant beaucoup apprécié l’histoire, décide de tourner un remake de sa propre version en 1954, sous le titre « Le Nettoyeur ».