Tandis que Pierce Brosnan concrétisait sa quatrième adaptation de James Bond en 2002, un cinquième film était en discussion mais les négociations s’avéraient difficiles. La société EON Productions cherchant à rajeunir le personnage pour porter à l’écran ses premières aventures, c’est finalement le méconnu Daniel Craig qui est choisi pour lui succéder, après avoir été remarqué dans des films comme Tomb Raider, Layer Cake et Munich. La saga est alors rebootée tandis que Barbara Broccoli et Michael G. Wilson ont enfin acquis les droits d’adaptation du tout premier roman d’Ian Fleming. En effet, Casino Royale avait déjà été portée à la télévision en tant que troisième épisode de la série américaine Climax en 1954, Barry Nelson concrétisant la première apparition de l’agent secret à l’écran. En 1967, c’est David Niven qui se démarquait volontairement des films portés à l’époque par Sean Connery, dans une parodie qui prenait beaucoup de libertés.
Casino Royale devient alors le vingt-et-unième film officiel de la saga James Bond le 22 novembre 2006 et c’est Martin Campbell qui reprend du service à la réalisation, plus de dix ans après GoldenEye. Une aventure digne de ce nom montrant la première mission majeure de l’espion anglais tout juste promu agent double-zéro, fortement valorisée par une scène d’introduction qui utilise le noir et blanc pour lui donner un esthétique rétro, des flash-back renforçant considérablement l’action et une brillante transition vers un opening très stylé avec ses animations de cartes de jeu et une chanson « You know my name » rythmée interprétée par la talentueux Chris Cornell. Reprenant l’intrigue générale du roman, l’action se voit toutefois transposée à l’époque de la sortie du film et se déroule dans plusieurs pays, notamment au Monténégro, bien que la partie de poker (et non plus de baccara comme dans le roman) ait été tourné dans un casino de Karlory Vary en République Tchèque.
Outre l’esthétique volontairement carte postale du blockbuster, ces différents voyages accentuent néanmoins le fait que Bond est face à une organisation internationale qui a des yeux et des oreilles partout. Très critiqué à son annonce pour son manque de notoriété auprès du public et jusqu’à sa chevelure blonde qui contreviendrait au teint brun du personnage décrit par Ian Fleming, Daniel Craig met finalement tout le monde d’accord grâce à son jeu d’acteur terriblement juste parvenant à renouveler la saga à travers une narration plus axée sur l’action, tout en mettant en avant les difficultés physiques qu’il rencontre lors de deux courses poursuites impressionnantes. L’intrigue d’espionnage reste au cœur du récit grâce à de très bons personnages, Casino Royale ayant en effet révélé les grands talents de la française Eva Green (Innocents : the dreamers, Arsène Lupin, Kingdom of Heaven) dans son rôle de la comptable Vesper Lynd, ainsi que du danois Mads Mikkelsen et sa sublime interprétation du Chiffre, banquier des terroristes à l’œil blanchi duquel coulent des larmes de sang.
Daniel Craig fait parfaitement ressortir le caractère effronté de son personnage à travers ses répliques osées et ses façons de contrevenir aux ordres pour mener à bien sa mission. Sa relation avec M, toujours sous les traits de Judi Dench (Les chroniques de Riddick, Orgueil et préjugés), est aussi poignante que drôle dans la façon qu’il a de rétorquer à sa supérieure (« Je ne peux pas demander à un bulldozer de comprendre ça, l’arrogance et l’introspection font rarement bon ménage. »). Sa confrontation avec Le Chiffre est également l’occasion de joutes verbales cinglantes (« Je ne m’inquiéterai que quand je commencerai à verser des larmes de sang. ») tandis que ce dernier arbore un regard inquiétant en plus de sa façon d’intervertir des jetons avec ses doigts quand il réfléchit à son prochain coup. La séquence de
torture
renforce la violence du scénario tout en apportant un aspect comique à la situation.
Vesper est sans doute la James Bond girl la plus travaillée et la plus complexe de la saga. Leurs échanges provocateurs à bord du train (« Et comme vous avez tout de suite pensé que j'avais perdu mes parents, je dirais que c'est vous l'orphelin. Oh vous l'êtes ? Je commence à aimer le poker… ») entament une certaine complicité qui évolue peu à peu
en une histoire d’amour intense et une fin tragique non sans rappeler celles du film Au service secret de sa Majesté
. L’interprétation de Daniel Craig fait alors ressortir le côté humain de son personnage grâce au contraste entre la brutalité de ses affrontements et la sensibilité dont il fait preuve. Les dernières minutes se voient alors riches en rebondissements, après une séquence un peu trop idyllique et alors que Le Chiffre
se trouve lui-même confronté à des membres de l’organisation secrète pour laquelle il travaille
, dont l’énigmatique Monsieur White, que le spectateur avait déjà pu brièvement apercevoir lors de quelques séquences bien plus tôt.
Un moyen narratif efficace permettant un final claquant durant lequel Bond
suit sa piste avant de le mettre à terre et d’enfin
affirmer son identité en terminant le film par l’emblématique réplique « Mon nom est Bond, James Bond », qu’il n’avait encore jamais prononcé jusqu’alors. Et tandis que Daniel Craig brandit fièrement son fusil d’assaut annonçant la jaquette du futur Quantum of Solace, les origines de la saga retentissent d’autant plus avec un générique rythmé par le thème principal inauguré par Docteur No en 1962. Composé originellement par Monty Norman et John Barry, il est ici remixé par David Arnold, qui dirige la bande-son d’un James Bond pour la quatrième fois d’affilée. Une bien belle manière de terminer ce renouveau d’anthologie qui s’impose brillamment comme un des épisodes les plus marquants de la saga, et un des meilleurs films des années 2000.