La polysémie du prénom Vesper, signifiant à la fois le coucher du soleil et l’irruption de Vénus quand elle resplendit dans l’obscurité naissante, contient en elle seule les forces contraires qui animent Casino Royale. Il y a le versant nocturne, explicité par l’ouverture en noir et blanc, la brutalité des combats, les sévices infligés aux corps ; il y a le versant diurne, amour que l’on croit sincère entre un agent double et une employée du Trésor dont la beauté foudroie les joueurs de poker.
Martin Campbell parvient à entremêler ces deux fils narratifs, disposant chacun d’une tonalité particulière, d’abord de façon grossière – la succession initiale de courses-poursuites, si la technique impressionne, demeure factice – puis avec succès. En résulte un bonheur que l’on sent fragile et menacé par un passé qui hante l’ombre des personnages, en résulte une violence qui gagne en puissance tragique à mesure que l’on retrouve Vesper ligotée sur une route de campagne ou enfermée dans une cage d’ascenseur. Dit autrement, le long métrage convertit l’alchimie apparente des amants en une atmosphère de plus en plus toxique : les cartes postales envoyées de Venise ou de Miami ne sont que la face cachée d’une réalité amère, tel le cocktail concocté par Bond ; le poids du silence et des non-dits se ressent davantage à chaque baiser, au premier « je t’aime ».
La thématique centrale du jeu déplace également l’innocence apparente d’un divertissement vers l’âpreté d’un monde adulte paranoïaque et surveillé – caméras de surveillance, téléphones portables, puces, GPS – au sein duquel les grands méchants ont eux aussi des comptes à régler et se font passer à tabac. Casino Royale exprime donc l’impossibilité d’un agent double à « prendre le large », c’est-à-dire à renaître lavé du sang qui le couvre et de la duplicité qui le définit ; il demeure, comme Vesper, un orphelin auquel s’ajoute le numéro de série, matricule 007, comme le prénom de l’être aimé se dégrade en mot de passe pour déverrouiller un vulgaire transfert d’argent.
L’échec de James Bond personnage à repartir de zéro permet, de façon quasi paradoxale, à sa saga de renaître de ses cendres. Une réussite.