Je le dis d’emblée, je ne suis pas très James Bond.
Je n’ai vu que 4 James Bond au cinéma et suis ressorti à chaque fois peu emballé.
A la téloche, l’espion 007 n’est donc pas ma priorité. Je peux même m’en passer.
Puisque j’ai la possibilité de tous les voir, je vais me contraindre à parfaire ma culture 007.
D’où une naïveté parfois volontaire et sincère.
« Casino Royale »
21ème volet signé Martin Campbell. Son second James Bond.
« GoldenEye » ouvrait l’ère Pierce Brosnan ; en prenant les commandes de « Casino Royale », il ouvre l’ère Daniel Graig.
Et Martin Campbell est aux commandes d’un lourd, très lourd James Bond.
Le générique abandonne les formes ombrées féminines aux seins dénudées. On y voit l’Agent 007 évoluer sur des tapis de jeux, au milieu de cartes qui explosent sous les tirs de PPK, j’imagine. Elles peuvent se révéler dangereuses aussi pour 007.
Ce sont aussi des cartes de coeurs brisés.
Le générique se conclut sur le nouveau visage rapproché de Daniel Graig, Bond, James Bond.
Je me souviens que les fans de la première heure refusaient la candidature de Daniel Graig dans le costume de 007. Un homme relativement trapu, « au visage patibulaire », blond aux yeux bleus, « une dégaine de boxeur », un bad boy dans un costume classe.
Je suppose que ces mêmes aficionados ont été très vite rassurés sur sa prestation, sur son incarnation.
Daniel Graig porte à merveille le costume de l’agent 007.
En ce qui me concerne, n’étant pas James Bond, sa nomination m’avait complètement indifféré !
Un des rares James Bond découvert à la téloche. J’en ai gardé peu de souvenirs.
En voulant parfaire ma culture 007, en les visionnant les uns à la suite des autres, ce « Casino Royale » prend une autre dimension.
Et quelle dimension !
Spectaculaire, intense, sentimentale et émouvante.
Ça commence avec la poursuite à Madagascar, course à pied à travers des chantiers, avec sauts périlleux d’une grue à l’autre, sauts d’immeuble à immeuble. Bond, adepte du yamakasi, se comporte comme un prédateur, un carnassier qui est décidé à ne pas lâcher sa proie ;
à tel point qu’il se moque des protocoles diplomatiques puisqu’il exécutera sa proie à l’intérieur même d’une ambassade.
Cette longue séquence est très physique, spectaculaire, les cascades sont impressionnantes et épuisantes ; je sue autant que James Bond !
On le retrouve plus tard dans l’appartement de M où il s’est introduit.
Non seulement M est sidérée de cette intrusion, mais elle considère que l’exécution du trafiquant dans les lieux-mêmes de l’ambassade est une faute professionnelle inacceptable.
Elle regrette ouvertement sa nomination au double zéros.
Cela ne semble pas plus émouvoir 007 qui rétorque :
« Les 00 ont une espérance de vie très limitée ».
Est-ce James Bond ou Daniel Graig qui parle ?
Le méchant de service est assuré par Mads Mikkelsen sous l’oeil qui verse une larme de sang, Le Chiffre, un addict du poker qui participe au financement du terrorisme.
Il emprunte 100 millions de dollars auprès d’un chef militaire africain Obanno (Isaac de Bankolé).
Mads Mikkelsen campe un Le Chiffre relativement inquiétant par son regard et par son économie de paroles expéditives.
Après une partie privée, il ordonne à son homme de main de raccompagner les invités :
« Nos invités ont 5 mn pour partir ou jette-les à l’eau » !
Petite frustration : sa confrontation physique avec James Bond tourne assez court contre toute attente.
Ayant perdu une grand partie de l’argent emprunté, Le Chiffre doit le récupérer au cours d’une partie de poker au Montenegro.
James Bond a pour mission de l’affronter.
Selon les propos de M, James Bond paraît être le seul, au sein des Services Secrets, à rivaliser avec talent.
Pour cela, on lui adjoint une comptable du Trésor, Vesper Lynd chargée non seulement de lui apporter 10 millions de dollars pour faire jeu égal avec Le Chiffre mais s’assurer que les fonds seront bien restitués.
Je ne comprends rien au poker, mais la mise en scène sait transmettre l’intensité entre les deux protagonistes.
Partie de poker qui s’éternisera sur deux soirées, ponctuées d’un affrontement entre Obanno, qui exige retrouver sa mise, et Le Chiffre d’une part , et James Bond d’autre part.
Tout deux déboulent petit à petit dans la cage d’escalier. Vesper, apeurée, gravite autour des deux protagonistes, tout en évitant les coups et les corps d’un combat brutal, bien chorégraphié et bien mis en lumière.
Le lendemain, la partie sera ponctuée d’un arrêt cardiaque pour James Bond.
La mise en scène traduit l’urgence de la situation ; maîtrisée en un premier temps, puis désarticulée en un second temps.
Sa façon de s’emparer d’une salière pour se faire vomir, se précipiter dans sa voiture pour se saisir d’un défibrillateur est une des meilleures scènes du film en ce qui me concerne.
Là encore, on sait qu’il va s’en sortir, mais comment ?
J’avais déjà tenu ce raisonnement avec Timothy Dalton dans « Tuer n’est pas jouer » ; c’est la seconde fois où je me suis réellement inquiété pour James Bond.
Et le comment se présente sous le visage de Vesper qui va connecter le fil lequel va déclencher la décharge pour sortir Bond de son comas !
La mise en scène est précise, lisible et intense.
Tout le film est du même acabit. Je ne m’ennuie pas une seconde.
Quand je l’ai vu pour la première fois, je n’avais rien vu, rien perçu parce que je sous-estimais la franchise. J’ai dû le regarder avec distance, indifférence.
Comment ai-je pu à ce point être malhonnête ?!
Ce James Bond me questionne, me perturbe depuis que j’enfile les opus.
Si j’ai bien percuté, « Casino Royale » est un retour aux sources. Je ne dois plus chercher de liens avec les précédents.
A part l’Aston Martin DB5 née sous « Goldfinger », à part la référence à « James Bond contre Dr No » avec James Bond sortant de sa baignade en mer, ce « Casino Royale » repart de zéro.
Il faut oublier tout ce qu’il y avait avant.
En soi, l’Aston Martin est un hommage à « Goldfinger », un hommage à l’ère Sean Connery, mais avec ce retour à zéro, l’Aston Martin fait sa première apparition dans « Casino Royale » !
La voiture mythique de la saga n’a pas été conçue dans l’atelier de Q, elle a été gagnée au poker contre Alex Dimitrios (Simon Abkarian) un malfrat de Le Chiffre.
Oui, ici pas de Q, pas de Moneypenny. Seule M est identifiée toujours interprétée par Judy Dench.
Je la pense vierge de toute référence au dernier James Bond avec Pierce Brosnan même si elle regrette d’avoir nommé ce James Bond au service des doubles zéros.
Confirmation avec la présence de Felix Leiter, interprété par Jeffrey Wright ; si je me souviens bien, Felix Leiter a été mutilé par un requin dans l’épisode « Permis de tuer ».
« Casino Royale » est un bien reboot.
Daniel Graig campe un James Bond brutal et sentimental à la fois ; son regard est lui aussi double, féroce et tendre ; il semble incontrôlable, obstiné, glacial et arrogant.
Quand il est remonté, il sombre dans un état second.
Décidé à poignarder Le Chiffre, un serveur lui propose son vodka-martini au shaker.
Il répond :« J’en ai rien à foutre ! ».
On est loin de Sean Connery qui tenait à son shaker même dans l’action.
James Bond / Daniel Graig est un agent 007 sans scrupule, carnassier, incontrôlable.
Daniel Graig est aussi une gueule comparé à ses prédécesseurs, des gueules de playboy (hormis Timothy Dalton mais c’est une affaire de goût !).
Même s’il n’est pas particulièrement très beau, Daniel Graig a incontestablement du charme.
Avec ce « Casino Royale » Daniel Graig alterne avec talent le sombre et le lumineux, la glace et la passion ; il exprime toute une palette d’émotions peu vues chez les autres James Bond avant lui puisqu’elles le rendent vulnérables.
Il faut avouer que le récit lui permet d’exprimer des émotions diverses et inattendues pour un James Bond : la tendresse et l’amour, par exemple.
Ce qui m’amène à la James Bond Girl : Vesper Lynd sous les traits de la belle Eva Green.
Quand elle se présente à lui, c’est dans le train qui les mèneront au Montenegro. Leurs relations ne sont que joutes verbales savoureuses punchline sur punchline, répartie sur répartie.
« Je suis le porte-monnaie » dit-elle en se présentant.
« On en a pour son argent » répond James Bond, l’oeil coquin.
ou
« J’imagine sans peine que vous consommez les femmes, vous ne les courtisez pas. »
ou
« Vous n’êtes pas mon type » dit-il dans la voiture qui les conduit à leur hôtel.
« Intelligente !» rétorque-t-elle avec ironie acide.
« Célibataire » lui répond 007, presque fermement.
ou
« Vous prendrez le suivant, il n’y a pas de place pour moi et votre égo » dit-elle dans l’ascenseur qu’elle décide de prendre seule.
Il y en a pléthore, difficile de les retenir tant ça fuse.
Eva Green bénéficie d’un rôle plus fouillé, plus sensible ; lumineuse avec lueur sombre dans son regard et dans son bonheur.
Inutile d’ajouter qu’elle est la première à fragiliser le coeur de Bond.
La première par rapport à qui ?
A personne puisque « Casino Royale » part de zéro !
Comme pour « James Bond contre Dr No », je peux chipoter sur la hiérarchie car à bien y regarder, Vesper n’est pas la première.
Peu importe, avec Dr No, la conscience collective n’a retenu que l’icône Ursula Andress.
Avec « Casino Royale », je retiendrai la divine Eva Green.
Après la séquence de l’escalier, il retrouve Vesper prostrée sous sa douche. Elle est traumatisée pour avoir assisté à la mort d’un homme, malfrat soit-il. L’agent 007 la rejoint tout habillé et la prend dans ses bras et la console avec tendresse.
Cette scène est touchante et inattendue pour un James Bond !
Le couple est bien assorti et fonctionne rudement bien.
Vesper, le premier amour de James Bond, au point de démissionner !
Son comportement inattendu pourfendra le coeur de 007 et le mien avec !
Il est à noter que ce James Bond a le visage tuméfié, a les mains marquées par les coups, ce qui crédibilise son personnage. Les autres James Bond ne portaient pratiquement aucun stigmates des coups reçus, ils se relevaient en réajustant le costume, en recoiffant une mèche. Ils avaient une dimension super-héros que n’a pas forcément ce James Bond / Daniel Graig.
Autre remarque : la première James Bond Girl qui s’inscrit dans l’esprit bondien se nomme Solange Dimitrios (Caterina Murino). Inutile de s’attarder d’autant qu’elle ne fera pas long feu.
« Casino Royale » détrône haut la main « Permis de tuer ». C’est le meilleur à ce jour de la franchise.
A la toute fin du récit, James Bond décline officiellement son identité à Mister White : « My name is Bond, James Bond. »
A voir en V.O pour Daniel Graig et Eva Green.