J'ai vu La chute, le film d'Olivier Hirschbiegel retraçant les douze derniers jours de la vie d'Adolf Hitler. J'ai lu La chute, d'Albert Camus, mais je ne joue pas au Dix de chute et me suis contenté d'acheter des actions Wanadoo, décotées depuis. Et j'avoue sans honte avoir été furieusement conquis par l'approche scientifique, glaciale du film. Beaucoup aimeraient que ce film serve de charge contre le régime nazi. Mais d'autres le font à sa place, et très bien. Ici, le réalisateur choisit de montrer la chute d'un Reich qui devait durer mille ans et n'en a pas survécu quinze. Faute au fou à sa tête, plus occulté que montré ici. Son ombre angoissante plane en permanence sur les personnages du film. Et les quelques scènes où il apparaît troublent par l'efficacité de l'interprétation de Bruno Ganz. Si, au fond, Hitler avait vraiment ressemblé à cette image dans ses derniers jours ? Un homme refusant de croire que son "génie" ait pu mener à un tel cataclysme. Un homme à la faiblesse frôlant le pathétique, et à l'humanité manifeste, envers les rares à lui être restés fidèles jusqu'au bout. Dire de Bruno Ganz qu'il est touchant dans ce rôle serait exagéré. Mais nier l'ambiguïté de son personnage est impossible. Ce la change de la pathétique interprétation de Robert Carlysle dans le mauvais téléfilm Hitler, et rapproche de celle de Noah Taylor dans Max. Hitler est un de ces rares personnages historiques dont tout le monde possède une image mentale, à force d'images d'archives diffusés en permanence sur les chaînes du monde entier. Contrairement à un Napoléon, un Alexandre, un César, il existe visuellement ce qui en fait sans doute un des rôles les plus compliqués de l'histoire cinéma. Ce qui frappe encore davantage, c'est la ferveur du dernier carré, cette garde impériale, qui jusqu'au bout soutint la folie du monstre Hitler, alors que les derniers soldats allemands se faisaient écrasés par l'armée russe dans un Berlin en ruine. En choisissant de ne rien démontrer, Oliver Hirschbiegel trouble. A la manière d'un Haneke, il filme l'insoutenable : Magda Goebbels obligeant ses six enfants à avaler une capsule de cyanure avant de se donner la mort avec son mari, le maître propagandiste. Et de nous épargner visuellement le suicide du Führer. Montrer l'horreur et en cacher son expiation est hautement symbolique. Le film pose des questions, n'offre pas de réponses. C'est peut-être dangereux mais laisser au spectateur son libre jugement sur ce gouvernement fantoche qui transforma l'Europe en un champ de ruine est passionnant. Hitler, Goebbels, Himmler et les autres étaient bien des hommes. Difficile d'accepter cette vision du mal élémentaire. Mais il en est ainsi. Le courage de ce film est de ne pas tomber dans la caricature, dans la grandiloquence, mais de montrer la chute vertigineuse d'un cauchemar manifeste.