(...) Avec ce troisième film, le cinéaste dresse encore une fois le portrait douloureux d’un individu esseulé sur fond d’atmosphère glaciale. Le scénario simple et solide entraîne le spectateur dans un tourbillon d’égarement où Keane cherche sans cesse à se retrouver lui même, à se rassurer. Le réalisateur filme, avec une photographie brute, la tristesse d’un homme, pesante, suffocante, tout en livrant un récit presque documentaire qui n’est pas sans rappeler l’univers des frères Dardenne.
Keane est incarné prodigieusement par Damian Lewis et son jeu maîtrisé, donnant à ce long-métrage une force émotionnelle incroyable. La caméra sans cesse en mouvement, si elle est sur le point à chaque fois de nous donner la nausée, réussit habilement à se concentrer exclusivement sur l’acteur britannique. Dans le cadre, il y a le visage de Keane, on le suit, on le précède, on lui tourne autour, et le monde flou oscille autour de lui. Il y a un perpétuel basculement du réel vers l’imaginaire. De la rue, à la gare, dans un bus, dans un New-York sale, grisâtre, le personnage déambule, sans but, sans savoir ou chercher réellement. Toujours collé à lui, on l’escorte pendant qu’il scrute le monde, le spectateur le scrute, et tout est alors vécu à travers lui. Jamais le décor ne se laisse regarder, on le devine seulement lorsque la caméra daigne le montrer.
Le protagoniste parle seul, il dialogue à bout de souffle avec lui même et l’objectif de Kerrigan capte toutes ses expressions, ses murmures monologuant. Peut-être que Keane, sur le point de s’étouffer à chaque instant, tente de se prouver qu’il n’est pas fou, que tout existe. Il y a une vérité dans cette mise en scène froide, glaçante, sans doute due à une profusion de plans-séquences.
Mis à part les bruits sourds de la ville, il n’y a de la musique dans le film qu’une seule fois, ôtant à l’air encore un peu de son oxygène. Un soir, Keane décide de noyer ses démons dans un bar, à coups de verres de vodka, quand il se précipite bestialement sur le juke-box pour écouter un morceau. Mais il n’arrive pas à l’entendre tel qu’il le voudrait, ce n’est pas assez fort. Alors Keane, fredonne, chante puis hurle cet hymne plaintif.
Prisonnier de lui-même, avant d’être prisonnier du monde, le personnage agit sur des coups de tête, des envies soudaines, des sursauts frénétiques. Ses agissements sont parfois illogiques, comme lorsqu’il se lave dans des toilettes publics alors qu’il a une chambre d’hôtel (qu’il peut payer pour le moment). Lorsqu’il décide finalement de rentrer dans sa chambre, Keane semble à nouveau renaître et non plus rôder tel un zombie. Il commence à se nourrir, à boire, à ouvrir les rideaux pour laisser entrer la lumière. Le solitaire semble aller mieux, se résoudre à affronter ses peines et s’endort pour la première fois.
« Tu dois être présentable quand tu la retrouveras. Tu es son père. Tu dois montrer l’exemple. » C’est ce qu’il se dit devant le miroir d’une cabine d’essayage, une chemise propre et neuve sur le dos. Le marginal décide de prendre sur lui, de prendre ses responsabilités même s’il est toujours schizophrène. D’ailleurs, il n’arrive toujours pas à faire son deuil. A cause sans doute ce cette culpabilité qui le ronge. Cette culpabilité ne pas avoir réussi à protéger sa petite fille. On se retrouve plongé en plein dans une histoire dramatique dont on ne sait absolument rien de son personnage principal. Qui est-il ? Est-il fou ou désespéré ? Où est la mère de Sophie ? Qu’est-il vraiment arrivé ? L’oeuvre est long questionnement sans réponse, pour nous comme pour Keane (...
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