Arthur Penn, réalisateur intellectuel par excellence aura réalisé 13 longs métrages en 30 ans de carrière. De cette production plutôt restreinte ne ressort aucun film médiocre ou réellement opportuniste. « Georgia », « Little Big Man », « La poursuite impitoyable », « Miracle Alabama », « Bonnie and Clyde » ou encore l’injustement mésestimé « Missouri Breaks » sont même à classer parmi les films d’excellence. En 1958 après une solide carrière à la télévision puis au théâtre, Arthur Penn est sollicité par la Warner pour se rendre à Hollywood afin d’y tourner son premier long métrage.
Ce sera « Le Gaucher » inspiré très librement de la vie de William Henry McCarthy ou William Henry Bonney plus connu sous le diminutif de « Billy The Kid », l’un des plus célèbres hors-la-loi de l’Ouest au côté des Butch Cassidy, Emmet Dalton, Sundance Kid ou frères James, qui a déjà eu l’honneur de cinq films dédiés depuis 1930. Mort en 1881 à seulement 21 ans, la biographie de William Bonney demeure encore très floue sur bien des aspects notamment concernant sa date et lieu de naissance, les circonstances précises de sa mort et le nombre exact de ses victimes (21). Autant dire qu’Arthur Penn s’appuyant sur une pièce de Gore Vidal déclinée en téléfilm par Robert Mulligan se sent les mains libres pour orienter son propos dans la direction qui lui convient.
Dans un entretien accordé en 1968 à Claude-Jean Philippe il déclare : « Le Gaucher, c'est Œdipe dans l'Ouest. Il y a dans le western des conventions, un rituel, une simplicité mythique qui en font un merveilleux moule tragique ». Ce qui intéresse Arthur Penn par-delà la précocité du parcours criminel de Bonney c’est, sa mère morte alors qu’il n’avait que 14 ans, son rapport au père absent, cherchant désespérément une figure tutélaire pour enfin donner un sens à sa vie. En somme le parcours tragique d’un adolescent livré à lui-même dans le monde âpre d’une nation en construction. C’est dans une plaine asséchée par une chaleur brûlante que le jeune Kid (Paul Newman) apparaît presque mort de soif. La rencontre inespérée d’un éleveur de bétail humaniste dénommé Tunstall lui fait espérer un court instant que, coquille de noix ballottée dans l’océan de la vie, il a enfin trouvé la bouée de secours qui va pouvoir le ramener à bon port. Un homme d’origine anglaise, lettré et pétri de principes pouvant possiblement lui donner l’éducation manquante.
Notons au passage qu’Arthur Penn s’il reprend la plupart des personnages et des événements ayant jalonné la Guerre du Comté de Lincoln, n’hésite pas à les tordre pour alimenter sa version « psychanalytique » des faits. Ainsi Tunstall interprété par l’acteur anglais Colin Keith-Johnston âgé de 62 ans n’était en réalité guère plus âgé que le Kid (26 ans) au moment des faits. Quand l’éleveur ayant refusé l’aide armée de Bonney pour aller négocier à Lincoln la vente de son troupeau est abattu lors d’une embuscade, l’espoir furtif du jeune homme enfui déclenche chez lui une soif de vengeance inextinguible qui va le mener jusqu’au bout de son parcours autodestructeur.
Cette entame particulièrement efficace où l’image prend le plus souvent le pas sur la parole éclaire d’emblée la démarche de Penn qui va alors s’évertuer à approfondir la personnalité du Kid entre fanfaronnade, blagues potaches avec ses deux compagnons de vengeance (James Congdon et James Best), règlements de compte, relation amoureuse maladroite (Lita Milan) et surtout désespoir existentiel de celui qui sait son destin scellé. Paul Newman âgé de 33 ans parvient avec conviction à s’emparer de l’extrême jeunesse de William Bonney grâce à une sobriété qui ne semblait pas évidente pour celui tout droit sorti de l’Actors Studio. Seules quelques attitudes un peu surjouées notamment lors des épisodes de bamboche du Kid rappellent la lourdeur de la fameuse méthode dont le plus dur pour les acteurs l’ayant assidûment pratiquée était de s’en défaire.
Remarquablement photographié par le très expérimenté J Peverell Marley, « Le gaucher » qui participe précocement à la démystification de l’Ouest fantasmé souvent à l’œuvre dans les westerns de série doit beaucoup à la conjonction du travail commun entre le réalisateur et son acteur principal (les deux hommes avaient déjà collaboré en 1955 pour « The Battler » un épisode de la série télévisée Playwrights’ 56) qui s’ils n’ont jamais retravaillé ensemble par la suite ont su s’apprivoiser l’un l’autre malgré l’attachement qu’avait Paul Newman pour le scénario initial écrit par Gore Vidal dont Arthur Penn s’était immédiatement détaché, soucieux de s’affirmer.
Par la suite Arthur Penn enfoncera un des derniers clous sur le cercueil de la mythologie de l’Ouest avec le célébrissime et iconoclaste « Little Big Man » (1970). On notera la prestation de Hurd Hatfield, inoubliable Dorian Gray dans le film d’Albert Lewin (1945) qui campe un journaliste suivant pas à pas le jeune Kid, cherchant à écrire la légende avant même qu’elle ne prenne corps. Le montage retouché par la Warner mettra Arthur Penn très en colère qui retiendra la leçon, livrant tout de même un film remarquable de modernité qui alors qu’il sera un échec commercial à sa sortie deviendra culte quand des critiques habilleront la démarche de Penn d’intentions qui ne semblent en rien évidentes notamment celle qui veut que William Bonney soit présenté comme un homosexuel refoulé. On ne prête qu’aux riches.