La presse populaire y a vu un film « rafraîchissant » ; un hebdo africain, une "réaction saine face aux nationalismes grimpants"... C’était là calquer sur le film des attentes, certes justifiées compte tenu des réalisateurs, mais qui me paraissent aveugles. "Entre les murs" est bien plus complexe, j’ose même dire bien plus honnête qu'un film de propagande.
1. Je n’ai pas trouvé que le film prenait la défense démagogique d’une « culture de la cité » ; si Esmeralda a appris des choses en dehors de sa classe, ce n’est pas dans la cité, mais grâce à une autre école : celle de sa grande sœur, sortie du collège, où l’on n’apprend décidément pas grand chose…
2. La remise en question du système éducatif n'adopte pas un point de vue simpliste qui opposerait les méchants (ceux qui prônent une école d'autrefois, inadaptée aux jeunes d’aujourd’hui), et les gentils (les pédagogues-potes modernes qui enseignent par le débat, sans que les jeunes s’en rendent compte…) Pour preuve, l’échec de ce 2nd type d'enseignant qui, se mettant à leur niveau, insulte 2 de ses élèves, ne corrige pas l’erreur des 2 déléguées qui ont totalement déformé les propos du conseil de classe, n’aide pas à réfléchir (pédagogiquement, il a tout faux : il rebondit toujours sur des détails inutiles, s’agglutine parfois à la meute et questionne sans fin, sans but précis, comme avec ce jeune gothique, qui revendiquait maladroitement un droit à la différence, et donc ici à la réflexion). Aucun "modèle" de prof n'est ici encensé. Aucune caricature démagogique ou malhonnête.
3. Quoi qu’on ait fait, la réponse en fin d’année est souvent la même : tous les bouquins étudiés « étaient nuls ». La réaction est révélatrice de deux états de faits :
- d’une part, est ainsi montrée la difficulté à être un bon professeur, soit parce qu’il n’aura pas choisi les œuvres à même de séduire son public (et la littérature classique doit être suffisamment vaste pour le permettre), soit parce qu’il n’aura pas su transmettre la beauté de l’œuvre, son intérêt pour celle-ci – à supposer qu’il soit lui-même un de ses admirateurs inspirés, ce qui n’est hélas pas toujours le cas (problème des vocations et de la formation universitaire des enseignants) ;
- d’autre part, ce type de réaction de l’adolescent est une des manifestations de la rébellion adolescente, dans ce qu’elle peut avoir de plus mécanique, de plus borné, et donc de plus bête : les réponses des élèves sont souvent impulsives, instinctivement contradictoires, confrontationnelles, parfois méchantes, bien plus qu’elles ne traduisent une réflexion, une réponse sensée et sincère. « Tu as sans doute appris quelque chose avec ton expulsion… - J’ai rien appris du tout ! ».
4. Le professeur commet énormément d’erreurs… de jugement, de placement, de discours, parfois de langage. Si, face à une classe disciplinée, il aurait pu être un enseignant correct, il semble ici totalement dépassé, et envenimer la situation. Beaucoup trop réceptif à ces ping-pongs insipides et vides de sens (« Donc tu me poses la question au nom des autres, mais tu aimerais savoir toi aussi… »), toujours à creuser ce qui n’a pas d’intérêt, invitant presque ses élèves à dire des bêtises, à réagir avec agressivité, il manque cruellement de retour sur sa pratique personnelle. Ayant insulté les deux déléguées, il se lance dans des précisions sémantiques oiseuses qui le mettent entièrement dans son tort. Miroir sur nos pratiques, nos manières de gérer le bruit, l’indiscipline, le film n’a rien, mais vraiment rien, du cinéma propagande que certains ont cru voir – Eisenstein ! il faut arrêter, là… – et ne propose pas de réponse facile.
5. La responsabilité de CHACUN est inscrite dans le film :
- l'administration, pas toujours réactive, pas toujours futée dans la posture à adopter en tant qu'"autorité raisonnable"
- les élèves, dont la violence est mise en avant, sans que pour autant on n'entre dans un discours de l'excuse et des interminables circonstances atténuantes
- les parents (l'une d'entre elles est d'une mauvaise foi sidérante lors de la réunion parents-profs !)
- les professeurs, dont pour certains le manque de perception, de finesse les font entrer dans une conversation de rue sans réel but, ou qui, épuisés en fin d'heure par la joute verbale qu'ils ont encouragée, ne voient plus l’élève réellement en difficulté (la petite de la fin, qui pose une réelle question, balayée du revers de la main)
- l'Etat, avec les problèmes politiques et d’intégration sous-jacents (les parents qui ne parlent pas la langue, les situations irrégulières...)
6. Fait-il exclure un élève qui va trop loin ? Un risque de retour au Mali constitue-t-il un chantage inacceptable ? Les programmes sont-ils inadaptés ? Les questions sont multiples, et admirablement bien posées.
Au final, j'ai été bluffé !