Entre les murs, prix « France Inter » pour le livre, Palme d'or à Cannes pour le film, un double succès particulièrement inattendu. Une des meilleures adaptation française de livre au cinéma au XXI ème siècle tout simplement. Mais ce film est avant tout une fresque sur l'éducation et sur la jeunesse.
« Entre les murs » est un long métrage realiste. C'est sûrement son point fort le plus évident. Il montre les choses comme elles sont, sans déformer la réalité. Cette réalité de la banlieue qui fera fureur quelques années plus tard au festival de Cannes avec la remise de deux prix du jury aux films « Polisse » et « Les misérables ». Le film est une adaptation très fidèle du livre, qui a été écrit par un ancien prof de français, François Bégaudeau, acteur dans « Entre les murs ».
D'ailleurs, ce titre très bien trouvé est parfaitement mis en images par Laurent Cantet, le réalisateur. Le film donne une impression de confinement, la caméra par exemple n'hésite pas à couper le haut des têtes, de sorte que nous voyons rarement un personnage en entier. Dans la salle de classse, par exemple, tous les élèves sont entassés, ce qui accroît l'impression d'enfermement en même temps que les tensions entre les élèves… La cour de récréation est un lieu très fermé, comme une cour de prison, avec du béton et des hauts murs. Laurent Cantet a aussi fait le pari de n'utiliser pratiquement que des plans rapides. On ne trouve pas de long plan-séquences mais des plans courts, nerveux. Par exemple, quand le professeur de Français (M. Marin) parle, la caméra le filme puis le plan est coupé et on voit alors un élève en train de dormir, faire le zouave ou écouter le cours. Bien souvent aussi dans « Entre les Murs », la caméra suit M. Marin dans les couloirs du collège et au croisement, elle délaisse le protagoniste pour se fixer sur un rideau, une fenêtre. La mise en scène est finalement très réaliste. La caméra est notre œil, on croirait être dans ce collège. Cantet transpose le quotidien des professeurs et des élèves d'une manière très sobre, aucune musique n'est présente et une seule petite voix off intervient quand le scénario ne laisse pas d'autres choix.
« Entre les murs » est une fresque magnifique sur la jeunesse dans toute sa complexité et ses contradictions. Dans cette classe de 3ème2, toutes les « tribus » sont représentées selon les styles, les origines, les personnalités. Le film parle d'un collège difficile, c'est un sujet très interessant et vaste. La jeunesse est énervée, se révolte, exprime sa détresse et son sentiment d'injustice (le sujet est toujours actuel d'ailleurs comme en témoigne la sortie récente en 2019 des « Misérables » de Ladj Ly). Mais pas de caricature ici, les élèves sont représentés avec finesse et dans toute leur complexité. Prenons par exemple Esmeralda, une élève de 302. Elle n'hésite pas à critiquer les Chinois ou encore les gothiques, elle insulte les autres dès qu'on la provoque, se révèle parfois agressive, peu respectueuse, et pourtant on découvre à la fin qu'elle lit « la République » de Platon, livre de philosophie exigeant. On peut ainsi penser que si elle avait grandi dans un environnement plus harmonieux et si plus de personnes l'avaient soutenus, Esmeralda aurait pu avoir des perspectives d'avenir plus réjouissantes. Mais, comme dit le prof de Techno lors d'un moment de colère (filmé avec beaucoup de compréhension) en salle des profs, « qu'ils y restent dans leur quartier pourri ». Esmeralda est représentative des élèves de la classe, et des adolescents en général, en dépit des différentes classes sociales... tous pareils...gentils….et méchants ! Et c'est tout simplement passionnant de suivre leurs évolutions au gré des situations de vie au collège.
Et que dire des professeurs maintenant ! Eux ne se ressemblent pas tous. Le prof de techno, pète littéralement un cable en début d'année, puis se relache et devient souriant. Il s'est adapté. Le prof d'histoire géo, l'ambitieux, très exigeant avec ces élèves. Et c'est peut être ça le problème de M. Marin. Pas assez d'ambition. Mais le plus dur, c'est de ne jamais pouvoir savoir quelle méthode est la meilleure. Son manque d'exigence est d'ailleurs pointé du doigt. Alors qu'il essaye de défendre Souleymane au conseil de classe, il dit que ce dernier est limité et il ne faut pas trop lui en demander. Les déléguées interprètent ça comme une insulte. La différence de point de vue. C'est aussi ce film. Il expose les choses, les problèmes, et chacun a son point de vue, comme dans un conseil de classe. Et puis les profs tatonnent, font des erreurs mais au final s'impliquent énormément pour leurs élèves (voir le match profs/élèves dans la cour à la fin du film). Eux aussi sont montrés dans toute leur complexité et contradictions d'êtres humains.
Un film social mené en main de maître par Laurent Cantet.