Là voilà donc la fameuse Palme d’Or, remise par un Sean Penn tout ému de la claque d’humanité et de réalisme social qu’il vient de recevoir sur la croisette bling bling du 7ème art. Du cinéma vérité, tourné en scope, dans l’intimité d’un collège du 20e arrondissement de Paris, avec des élèves investis qui jouent de leur langage pour imposer des personnages plus vrais que nature qui ne sont pourtant pas les leurs.
Dans " Entre les murs ", tout est effectivement scénarisé. Le scénario est librement inspiré du livre de François Bégaudeau, devenu pour l’occasion scénariste, conseiller et comédien ; les situations sont, elles, bien fictives, même si elles se reproduisent quotidiennement au sein de maints établissements français. Pourtant tout - de la justesse du ton, en passant par la sobriété de la mise en scène, qui se refuse au réalisme télévisuel, jusqu’au naturel débordant des protagonistes - évoque le naturalisme confondant du documentaire. Le procédé de radiographie d’un microcosme scolaire, véritable baromètre social, transpire l’intelligence cinématographique, cette intelligence qui sait se faire discrète pour laisser la parole aux vrais protagonistes de la salle de classe. Dissimulée derrière des situations banales de clashes entre l’enseignant et ses élèves, terrée derrière des anecdotes de couloirs a priori barbantes, présente dans le moindre recoin de la classe pour capter l’exubérance verbale des uns, les étincelles de détresse des autres, la caméra de Laurent Cantet filme abondamment et se gorge d’instants de vie. Il en ressort un discours autrement plus fructueux que celui des reportages revendicateurs sur les profs lors des JT et autres débats télévisés avec les assommoirs de mauvaise foi comme Xavier Darcos. Un discours d’une neutralité forte qui ne place aucunement l’enseignant sur un piédestal - celui-ci n’est jamais érigé en modèle, super héros ou victime pathétique des ogres adolescents -, et qui évite le pathos autour du drame naturaliste où les bourreaux agissent en conséquence. Tour à tour attachants, joviaux, taquins, détestables et féroces d’imbécilité adolescente, les jeunes sont montrés dans leur incompréhension d’un système pour qui l’individu n’est qu’un dossier interchangeable. Ils reproduisent dans l’indiscipline et leur langage un conformisme de quartier auquel ils s’accrochent coûte que coûte pour se désolidariser d’une société, forcément adulte et bourgeoise, qu’ils tiennent pour responsables de leurs affres.
Film d’une drôlerie et d’une cocasserie surprenantes pour celui qui est spectateur passif des joutes verbales, " Entre les murs " est autrement plus stimulant dans le désarroi général qu’il constate et l’émotion qu’il communique. Laurent Cantet filme toutes les solitudes. Celles des élèves, empêtrés dans l’émotion, celles des parents, impuissants, des professeurs, épuisés, alors qu’en dehors de l’établissement, toute cette communauté pâtit de manigances politiques toujours plus difficiles à avaler, destinées à dégraisser le mammouth et à favoriser les nantis qui n’auront nullement à redouter d’être un jour confrontés à ces murs-là. Le cinéaste ne sermonne pas et n’enfonce jamais de portes ouvertes, comme pour ne pas desservir son approche pédagogique. Par la sobriété du filmage, il dévoile une réalité puissante, loin des artifices commerciaux utilisés ailleurs pour accentuer le sensationnalisme de ces situations explosives. Son cinéma devient un vecteur de réflexion pour tous, en particulier pour tous ceux qui veulent avoir un avis sur tout, mais qui, dans leur univers de vignettes et de clichés, nourris par les médias et les hommes politiques, n’ont jamais entamé un jour la conversation avec l’une de ces figures scolaires. Et oui, en 2008, certains pensent encore que ces mômes sont des monstres et que les profs sont des privilégiés surpayés à la tâche aisée. Pour eux, un petit tour " Entre les murs " s’impose.