Plus de vingt ans après son dernier film hollandais, Paul Verhoeven est de retour dans son pays natal pour un projet qu'il portait en lui depuis des années. Enfant pendant la guerre, il raconte d'ailleurs avoir dû longer dans la rue une rangée de cadavres d'otages exécutés par les Allemands en représailles aux actions de la Résistance.
Il y a différents niveaux de lecture possibles de "Black Book". Tout d'abord, celui de l'histoire qui nous est racontée : Paul Verhoeven cite dans une interview David Lean comme un de ses modèles, et effectivement, on a parfois l'impression d'une histoire racontée "à l'ancienne" (ce n'est pas un reproche, loin de là), comme dans "Le Pont de la Rivière Kwaï" ou "Docteur Jivago". En faisant appel à une grande maîtrise technique (sens du cadrage, image soignée, montage nerveux), avec une musique très classique d'Anne Dudley -oscarisée pour "The Full Monty"-, Paul Verhoeven réussit presque à nous faire avaler des péripéties abracadabrantesques, comme ce général allemand réussissant après la reddition de ses troupes à faire exécuter une de ses sentences de mort par les Canadiens (Le véritable chef la garnison allemande, Johannes Blaskowitz, s'est suicidé dans la prison de Nuremberg).
Le deuxième intérêt du film réside dans la peinture de cette période qui va de septembre 1944 à la Libération de mai 1945. Aux Pays-Bas comme en France, une mythologie de la nation tout entière dans la Résistance s'est installée après-guerre, et Verhoeven qui a lu environ 700 documents sur cette période tient à faire voler en éclat une telle image d'Epinal. Comme Louis Malle dans "Lacombe Lucien", il nous montre une réalité plus contrastée, où les hasards de l'histoire font basculer les personnages dans un camp ou dans l'autre, et nous nous trouvons à espérer que l'officier SS dont Rachel est tombée amoureuse réussira à échapper aux griffes des Alliés qui laissent faire une épuration montrée cruemant dans toute sa bestalité : moffenmeiden tondues, prisonniers maltraités et humiliés par des geoliers sadiques, traîtres transformés en résistants de la dernière heure. Le carnet noir dont il est question a d'ailleurs existé : ce fameux “petit livre noir” était tenu par Mr. de Boer, un avocat de La Haye qui fut abattu dans la Goudenregenstraat juste après la guerre.
Et puis, il y a la vision de l'humanité propre à Paul Verhoeven, que ce soit à Los Angeles ou à La Haye, sur Terre ou sur Mars. Vision empreinte de noirceur : l'appât du gain s'avère pour beaucoup plus important que l'amour de la patrie ou de la liberté, et tromperies et trahisons se succèdent. Un jeune résistant n'arrive pas à tirer sur un collabo alors que la vie de ses camarades est en jeu ; mais quand il l'entend blasphémer, il l'abbat comme un chien, criblant son cadavre de balles. Rachel peut paraître comme une exception ; mais à bien y regarder, elle aussi est prête à coucher avec un ennemi plus pour mener à bien une vengeance privée que pour poursuivre des idéaux. Et Verhoeven ne lui laisse la vie sauve (on le sait dès la scène d'ouverture) qu'au prix d'un traitement de choc : passage des barrages nazis enfermée dans un cercueil, et remake scato de "Carrie", une marmite de merde lui étant déversée dessus.
Rien que pour quelques scènes, comme celle où Rachel déjà devenue blonde se teint la toison pubienne avant de se rendre au siège de la Gestapo, ou celle où elle chante pour l'anniversaire du Führer une romance sirupeuse en duo avec l'assassin de ses parents, "Black Book" est un film qui mérite l'intérêt.
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