Dérapage
Un film de Mikael Hafstrom
La tête d'affiche était chargée de promesses. D'abord celle de la confrontation entre Clive Owen et Vincent Cassel, ensuite celle d'un thriller tendu, sulfureux, auquel Jennifer Aniston allait prêter son pouvoir de séduction.
Inégalement tenu, ces promesses permettent néanmoins aux spectateurs d'assister à un jeu du chat et de la souris moins prévisible qu'on s'était surpris à le craindre dans le premier quart d'heure. Le contexte est rapidement planté, et il nous fait découvrir le foyer uni de Christopher. Uni, et pourtant marqué par un drame familial oppressant. La fille de Christopher, Amy, est en effet atteinte d'une grave maladie lui imposant des soins à domicile, ainsi qu'une dialyse quotidienne, suite à l'échec de trois tentatives de greffe de rein ratées. Plus que déprimant, le cadre permettra d'expliquer le changement de comportement brutal du personnage principal, Christopher.
Au-delà du fardeau qui pèse sur son ménage, Christopher appartient au foyer américain typique, tel qu'on le représente d'ordinaire à l'écran. Ce foyer illustre dans les moindres détails la « upper-middle class » nord-américaine, avec petit déjeuner animé en famille, et père et mère à la bourre. Sans parler du chien, qu’il ne faut surtout pas laisser sortir sans l’accompagner. Dans sa vie trépidante de cadre de la publicité sous pression, Christopher se heurte parfois à la rigidité de sa hiérarchie et au manque d'imagination de ses clients. Ceci, ajouté à un environnement familial fort pesant, fait de Christopher le candidat idéal à la romance d'un soir. Et cela ne va pas manquer. Un beau matin, son chemin va croiser celui de Lucinda, cadre du monde de la finance au sens de la répartie bien affûté. Lucinda se trouvant elle-même emprisonnée dans une relation à sens unique avec un mari aux abonnés absents, les choses se feront avec un naturel dont la fluidité n'exclut pas un petit coup de pouce scénaristique. C'est dans un train de banlieue qu'ils se rencontreront, et tenteront de combler leurs vide émotionnel.
Leur bonheur sera de courte durée, leur premier rendez-vous galant se terminant sur l'intrusion d'un frenchie dont les vociférations n'ont d'égal que la cruauté. Lucinda sera violée, pendant que Christopher sombrera dans l'inconscience provoquée par les coups de l'agresseur. les premiers dialogues paraissent un peu plat, ce qui est normal. La première rencontre entre Lucinda et Christopher est totalement fortuite, le contact s'établit donc en dehors de tout cliché. Par la suite, le jeu du chat et de la souris auquel se livreront les deux personnages pourra paraître un peu téléphoné. Bien vite, chacun d'entre eux se trouvera confronté à son propre désir, et, partant de là, à sa propre culpabilité.
Dans son premier tiers, le film a dont pris son temps, au risque d'endormir son public. Les deux amants potentiels sont aliénés par leur vie compliquée, qui ne les satisfait pas. Pour Christopher, c'est le drame familial qui apporte un semblant de justification à sa quête, tandis que Lucinda se débat dans les affres de la solitude. Avec l'entrée en jeu du frenchie (Vincent Cassel, irréprochable), les choses vont changer. Le récit entame alors une approche moins sulfureuse mais beaucoup plus noire. Témoin de l'adultère non consommé, l'intrus va rapidement endosser la défroqué multiple de brute épaisse, violeur et enfin de maître chanteur. La bonne surprise est double. D'abord le maître chanteur s’avère moins prévisible qu'on ne le supposait, et ensuite, de proie, la victime va se muer en chasseur. C'est dans sa dernière partie que le film devient paradoxalement trop rapide. Christopher réalise alors combien l'argent dont il a fait cadeau au forcené lui est vital. Il lui faut alors faire marche arrière, pour revenir sur les traces de son prédateur.
Les rebondissements du dernier tiers vont épaissir sensiblement l'histoire, estompant par la même occasion les faiblesses du début. Le thème de la rédemption est alors manifeste, imposant à Christopher une plongée dans la barbarie, pour ensuite le réorienter vers sa vocation première, l’enseignement. Aux côtés d'une Jennifer Aniston un peu falote (un brin empruntée, son rôle de ne jamais pas forcément en valeur), Clive Owen et Vincent Cassel ont donné vie à un duel sans merci. Au visage fascinant (à la fois acéré et tout en douceur) du premier répond l'intensité du second.