La première séquence l'annonce clairement : De battre mon coeur s'est arrêté est un film sur - entre autres choses - la relation au père. Ca n'est pas un hasard dans la carrière de son metteur en scène. Il suffit de se rappeler son premier film ou Un Prophète, oeuvres sur la transmission générationnelle et illustrant des quêtes initiatiques, passages à l'âge adulte qui sont étroitement liés à la mort, métaphorique ou pas, du père. Il y a sûrement là un commentaire sur le statut même de Jacques Audiard, fils de, qui a dû subir, comme Romain Duris dans le film, le poids d'un héritage pas facile à assumer. Le souci du réalisateur, c'est qu'il ne s'est pas débarrassé de ce qui fait problème dans les scénarios de son père : une propension à en faire trop et à tuer le réalisme. Si la mise en scène excelle dans la retranscription naturaliste par le biais d'une caméra portée qui colle au plus près des personnages, s'il y a chez Audiard une science du rythme imparable et une fluidité impressionnante qui donnent le sentiment que le film a sa propre vie, que tout coule tout seul, tout cela est contrecarré par les boursouflures cinématographiques de son auteur. Audiard en fait toujours un peu trop, que ce soit dans les dialogues surécrits ou les élans exagérés d'une caméra trop sûre de sa virtuosité. Autrement dit, gros souci : chez Audiard, on sent toujours la mise en scène, la mécanique du mouvement, la pensée du cinéaste qui a voulu épater la galerie.
Autre souci hérité de son père : chez les Audiard, les mecs parlent comme des " vrais mecs " et les put...pardon, les femmes, sont rarement vues sous un angle flatteur. Filmer des personnages et ce qu'ils sont n'est bien sûr pas un problème en soi, mais quand cela se fait avec autant de bienveillance et de jouissance pour la virilité, la masculinité, le machisme, ça en devient un. Les personnages féminins ont du mal à exister, écrasées par la domination des hommes qui cristallisent l'attention d'Audiard, dont on se demande d'où lui vient une telle fascination alors que des actrices aussi talentueuses qu'Emmanuelle Devos ou Linh-dan Pham sont là, probablement dans l'attente d'avoir à jouer des personnages dignes de leur talent.
Au-delà de ses défauts gênants, il y a comme dit précédemment un savoir-faire technique et narratif d'une maîtrise évidente dans De battre mon coeur s'est arrêté. Mais aussi un acteur, Romain Duris, dont la seule présence file une des métaphores du film : comment s'affranchir du poids de son passé, de son identité, et grandir ? Comment, pour Duris, laisser de côté l'image cool du héros klapischien pour devenir adulte ? Devenir adulte, c'est précisément ce qui attend le personnage du film, confronté à un choix et tiraillé entre les magouilles immobilières et le piano, la brutalité et la grâce. Sans cesse le film illustre ce dilemme moral éprouvé par Tom, jouant du montage et faisant des aller-retours entre les deux vies du personnage, passant de l'élégance de la musique à la crasserie mafieuse en un battement de coeur. Il y a quelque chose d'émouvant dans cette vision de l'art comme moyen d'échapper à l'âpreté de l'existence. Les scènes musicales constituent une forme d'harmonie au milieu du chaos sombre dans lequel est plongé Tom. Mais le revers, c'est que l'accomplissement par l'art vaut plus que celle qui en bâtit les fondations, et la prof de piano n'a aucune âme ni personnalité, pas plus que la relation qui l'unit à son élève. Cela est révélateur d'un film à la mécanique parfaite mais sans profondeur dans le propos et dans le sentiment humain.
Scorsésien de par son schéma ( la rédemption d'une petite frappe ) et sa virtuosité pouvant être qualifiée de clinquante, De battre mon coeur s'est arrêté est un film à la fois brillant et agaçant, prenant et repoussant, dans le sens où les afféteries du film nous en sortent et empêchent une pleine immersion. Mais à part les éclairs brillants, c'est surtout l'absence de modestie et la prétention de son auteur qui laissent une impression de gâchis.