J'ai tout simplement adoré ce film! La version longue (plus de 4 heures pourtant) passe avec célérité et jamais la moindre parcelle d'ennui ne vient ternir l'éclat de ce joyau. Justement, je pense que dans sa version commerciale de base, ce film doit pêcher par l'absence ou presque de ce qui le rend remarquable dans sa plénitude: une sorte de paix qui le traverse de bout en bout, de larges séquences qui habillent d'humanité ces héros qui sont bien plus que des chefs de guerre. Réduite à ses fabuleux combats, l’œuvre serait déjà remarquable mais dans sa totalité, le contraste chaud-froid entre la fureur des armes et la quiétude sereine de bien des séquences intimistes l'élève dans une grande hauteur.
La beauté formelle (une autre qualité plutôt rare, à mes yeux) est omniprésente, dans les formes, les couleurs, les harmonies, les sons, les cadrages, les lumières riches ou funèbres: John Woo est un esthète accompli mais il ne cède jamais à l'esthétisme gratuit. Avec lui, la vie est magnifique mais même la mort est sublime; la lumière est chatoyante mais l'obscurité aussi envoûte... La maîtrise des effets spéciaux est très accomplie (malgré un budget plutôt serré pour une oeuvre aussi ample), et celle des chevauchées, combats et batailles est époustouflante. Bien des affrontements ont la beauté mortelle de danses rituelles.
Le récit est bien déroulé, on rentre avec une grande facilité dans le jeu des intrigues, des tromperies, des stratégies, des coups-bas... qui accompagnent fatalement d'aussi grands enjeux que ceux de contrôler le vaste Empire du Milieu. Les personnages, d'essence historique, sont remarquables par leur consistance; le réalisateur, d'anecdote en scènes de vie quotidienne, d'intimité en gros-plans qui arrachent littéralement l'intériorité des gens, réussit à les rendre vivants, attachants, même l'odieux Cao Cao recèle une sorte de touchante faiblesse, lui le grand stratège qu'une femme fragile et pâle va conduire à sa perte.
Ainsi se déroule une fresque qui est à la fois épique, historique, héroïque mais qui miraculeusement parle aussi du cœur et de ses faiblesses, de sa force aussi, et de la nature qui sait se révéler une alliée très puissante, et des sentiments enfouis sous les armures brillantes et les apparences trompeuses.
J'ai littéralement adoré les deux séquences au cours desquelles les deux héros-rivaux se mesurent, se livrent, se révèlent au travers d'un duo de cithares: c'est poignant,beau et puissant: du très grand art.
Seul moment oubliable à mes yeux: la scène finale, assez gnangnan, comme si Woo n'avait pas su comment achever un film aussi puissant... On ne lui en veut pas pour autant!