L’Elisir d’Amore (l’Elixir d’amour), un opéra de Gaetano Donizetti (1838) va servir de fil conducteur à « Match Point », une parfaite métaphore, un croisement des arts, finalisant la grâce de cette œuvre assez déconcertante dans la filmographie de Woody Allen.
Chris (Jonathan Rhys-Meyers), est un parfait anti-héros, qui va basculer. Il provoque le destin farceur et espiègle, et toute la question est de savoir de quel côté du filet va tomber la balle quand elle flirte avec la bande. C’est l’histoire de la vie. C’est la prédominance de la chance sur le talent, qui sera le leitmotiv du film.
Une des virtuosités consiste en ce mix qui fait de « Match Point » un double polar, romantique évidemment, mais surtout terriblement social, une satire politique, une lutte des classes pop et glamour, dans cette soif absolue de briller, de réussir pour Chris le ténébreux Irlandais et Nola (Scarlett Johansson), la troublante américaine du Colorado, deux ambitions contrariées face à des nantis issus de la noblesse anglaise jusqu’à l’accent aux manières. D’ailleurs si le magnétisme opère instinctivement entre eux dès la première rencontre, c’est bien car ils se respirent, se sentent… Ils savent que ce n’est pas leur milieu originel.
Elle : « Quelqu’un vous a déjà dit que vous aviez un jeu très agressif ? » Lui : « Quelqu’un vous a déjà dit que vous savez des lèvres très lascives ? ». Le silence qui suit est encore plus sexuel.
Cette première scène, d’une intensité à couper, celle du ping-pong, qui est d’ailleurs l’affiche du film, est d’une extrême volupté, et le désir charnel de la séduction est troublant de réalité, tant dans sa mise en scène, le cinéaste new yorkais réussit à nous inonder d’empathie, comme si l’on ressentait leur ardente envie. C’est un film sensoriel, suggestif. La façon de Scarlett d’allumer sa clope… Et c’est nous qui partons en fumée avec.
La perfection de leur duo permet aussi cette pleine adhésion. Leur mouvement en coup droit, leur jeu de regard en revers, tout est un smash de sensualité dans le moindre de leurs échanges. Une sensualité incandescente de Scarlett Johansson, qui incarne l’interdit, le fruit défendu et la passion dévorante avec une grâce absolue. Ce couple entre Jonathan Rhys-Meyers et Scarlett Johansson est iconique, car il est comme hypnotique, il existe entre eux comme une évidence. Ils sont d’une renversante beauté, tant les performances d’acteurs sont puissantes. Emily Mortimer est une candide Chloé, autant amoureuse que vibrante de l’espoir qu’elle place en son couple. Elle est tout aussi bluffante que les deux autres stars…
Évidemment, tout va dégénérer et Nola, la princesse du désir de se transformer pour Chris en une citrouille bien encombrante. La jolie petite comédie romantique va se muer en un thriller haletant. Ce couple était trop fiévreux, trop brulant d’envie. Chris voulait le paradis, il va finalement provoquer le diable et mettre en lumière sa propre noirceur. Le banal menteur va devenir un lâche meurtrier, il tuera la passion pour tenter de garder ses privilèges. Cette option permet au film de croiser les genres entre le marivaudage du trio amoureux et le polar singulièrement prenant, où une seconde peut faire basculer de multiples destins.
D’aucun pourrait extraire une forme de binarité ou de manichéisme, mais tout est assumé, tout est métaphorique entre radicalité et classicisme, dans un esthétisme des corps et des âmes, au service d’une narration captivante pour un film autant corporel que cérébral, qui manipule nos ambiguïtés. On en sort troublé, c'est parfait.