Un film américain tourné en dati, langue parlée à Kaboul, avec des acteurs afghans, voilà qui attire à priori la sympathie, quand on se rappelle - entre autres - de "Mémoires d'une Geisha" joué en anglais par des actrices asiatiques ; ce choix lui a d'ailleurs valu de concourrir aux Golden Globes dans la catégorie "Meilleur film en langue étrangère". Un film hollywoodien qui parle de l'Afghanistan sans y lâcher Rambo ou sans passer par le biais d'un congressman, fut-il aussi atypique que Charlie Wilson, autre raion d'apprécier la démarche. Cerise sur le gâteau, la présence à la direction de Marc Forster, l'auteur du revigorant "L'incroyable Destin d'Harold Crick" (sans parler de celle de Sam Mendes comme producteur délégué) laissait augurer d'un film original.
Et bien non. Les acteurs parlent bien dati ou pashto, mais ils débitent des dialogues cent fois entendus du syle : "Mon père me déteste, parce j'ai tuée ma mère", ou "Les mollahs veulent manipuler nos âmes, et les communistes disent qu'on n'en a pas". Si les deux jeunes acteurs qui jouent Hassan et Amir enfants, trouvés lors d'un casting à Kaboul, apportent un vraie vie à leurs personnages, les acteurs adultes sont aussi peu vraies que leurs barbes dans l'épisode du retour dans l'Afghanistan des talibans (on croirait le tournage du "Gang des Postiches"), à l'exception notable de Homayon Ershadi, vu dans "Le Goût de la Cerise", et qui joue avec la même véracité le nabab de Kaboul et l'émigré maladroit de Californie.
La vision de l'Afghanistan est américaine, donc manichéenne. On oppose la période heureuse d'avant l'invasion soviétique, filmée avec des couleurs chatoyantes, et nous montrant une société d'abondance (premier traveling sur la marché de Kaboul, avec pléthore de poissons, de fruits et de viande) tout juste entâchée d'un peu de corruption, à l'état islamique des talibans, symbolisé par une photographie blafarde et des décors dépouillés. Vous me direz, difficile de montrer Kaboul sous la coupe du mollah Omar comme la Pays de Candy, mais une fois de plus, le trop est ennemi du bien.
Raconter le destin d'un peuple au travers de la destinée de quelques personnages permet souvent de mieux découvrir la vie des habitants de ce pays ; encore faut-il que l'histoire de ces personnages ne fasse pas obstacle à cette découverte. C'est malheureusement le cas ici, avec la succession de grosses ficelles -déjà présentes dans le roman de Khaled Hosseini- : l'héroïsme du père opposé à la lâcheté du fils, la culpabilité du rescapé, la rédemption par le sacrifice, et l'incarnation du mal qui n'a pas changé en 30 ans, à quelques poils près.
Et puis surtout, impossible de retrouver la moindre trace de la réalisation malicieuse de "L'incroyable Destin d'Harold Crick" dans cette mise en scène plate et prévisible, saturée de la musique d'Alberto Iglesias, plus inspiré quand il compose pour Almodovar. Ainsi par exemple, quand Amir ouvre la lettre posthume d'Hassan, on a le droit à la totale du Petit Guide du Réalisateur larmoyant : le gros plan sur l'épanchement lacymal, le flash-back sépia de l'enfance insouciante, et la violonnade sirupeuse.
Alors, pourquoi mettre quand même 5/10 ? Parce que ça me semble le tarif pour un honnête téléfilm, que l'ensemble part de bons sentiments, qu'il y a quelques scènes qui font mouche sur le déracinement, et que la beauté des paysages nous aide à passer le temps, avant un oubli inéluctable et rapide.