Le livre de Roy Lewis a pour titre français « Pourquoi j’ai mangé mon père », c’est un roman pour adulte bourré d’humour mais qui, entre les lignes, jette un regard acerbe sur les sociétés humaines et leur travers. En filigrane, il évoque le combat des progressistes et des réactionnaires, il traite de problèmes philosophiques, sociologiques, politiques même : bref, c’est un roman pour adultes. De ce roman iconoclaste, Djamel Debouzze en tire un film pour enfants qui n’a plus grand-chose à voir avec le propos comico-subversif du livre. Et d’ailleurs, tout cela peut se résumer par le mot supplémentaire du titre du film, « Pourquoi j’ai PAS mangé mon père ». Ouf ! Le politiquement correct est respecté et les affiches du film seront acceptées par la RATP ! En vérité, dés les premières minutes, on a compris que le scénario n’a conservé que quelques bribes du livre : les prénoms de certains des protagonistes, une certaine idée du combat entre les anciens et les modernes, la rencontre « sportive » entre Edouard et celle qui deviendra sa compagne mais à part ces petites choses, le film s’éloigne tellement du roman qu’on a l’impression de deux œuvres indépendantes l’une de l’autre. Le personnage d’Edouard et de son père ont fusionné, Vania est un roi au lieu d’un oncle grincheux et vieillissant, Ian est un simple d’esprit au lieu d’un voyageur de l’extrême, la tribu est immense, elle est organisée en monarchie et on y trouve même une ébauche de religion (?) on n’y parle ni inceste ni cannibalisme (ou si peu), bref… On n’est plus du tout dans le registre de l’adaptation mais dans autre chose. Alors, quand on a aimé le livre, difficile de ne pas être frustrée en sortant de la salle de cinéma ! Mais bon, essayons de faire abstraction de cette « trahison » pour juger le film de Djamel sur ses qualités et ses défauts propres. D’abord, visuellement c’est parfaitement bien réalisé. Il y a du soin dans l’image et l’utilisation de la performance-capture de bout en bout (une première en Europe parait-il) y est pour beaucoup. C’est un choix payant, dans tous les sens du terme car la réalisation et la post production du film a lui couter un max. Le son est un peu trop fort et la musique un tantinet envahissante, comme dans les films d’animation modernes, je ne comprends pas forcément pourquoi d’ailleurs : appuyer les effets sonores au maximum, c’est vite énervant pour les adultes ! Voilà, çà c’est pour la forme… En ce qui concerne le fond, c’est un conte préhistorique plein de bons sentiments, très centré autour de la personnalité et de l’humour de Djamel : c’est sur que si vous y êtes allergique, il faut passer votre chemin, çà ne vous fera pas rire et çà vous tapera sur les nerfs ! Mais moi, j’ai trouvé çà drôle (pas tant que je l’aurais espéré néanmoins, mais j’ai plus de 10 ans il faut dire…) et les vannes « à la Djamel » ne me dérange pas, enfin faudrait pas trop en faire non plus, tout est dans la mesure et là, on flirte avec le too much ! Mais çà manque d’audace scénaristique, çà manque d’humour décalé. La grande force des films d’animation modernes comme « Shrek » par exemple, c’est que çà faire rire les grands et les petits à des moments différents avec des références différentes, des clins d’œil, ou des propos un peu subversifs lâchés çà et là, mine de rien. Dans « Pourquoi j’ai pas mangé mon père », tout est à hauteur d’enfants, les vannes sont pour les enfants et tout ce qui aurait pu plaire exclusivement aux adultes est gommé et quasi absent ! Pourquoi diable avoir introduit des notions comme la monarchie héréditaire et la superstition dans le propos, si ce n’est pour coller un peu plus au cahier des charges du conte pour enfants ? Mais même en admettant ce postulat, pourquoi ne pas l’avoir traité avec plus de finesse, y introduire une critique un peu acerbe, un peu audacieuse. Ce qui est énervant avec ce film, c’est qu’on sent que tout y est à l’état d’ébauche, Djamel ne fait qu’effleurer son sujet : obsédé par le fait de faire un film visuellement irréprochable, rythmé et accessible au plus grand nombre, il perd en route toutes les bonnes idées qu’il aurait pu exploiter pour plaire aux grands spectateurs, qui pourtant étaient prêts à le suivre dans cette aventure bizarre. Du coup, au-delà de 10 ans, même ce film d’à peine plus d’1h30 finit par paraitre un peu long et par donner l’impression de tourner à vide. Ca finit comme on imaginait que çà allait finir, dans une débauche de bon sentiments (quand on sait comme finit le livre… !) et sur une impression très mitigée. J’aurais vraiment adoré pouvoir écrire autre chose sur ce film, quitte à aller à contre-courant des critiques mais je m’y suis un peu ennuyée, je n’y ai pas trouvé ce que je cherchais, je n’ai pas ris autant que je l’aurais espéré, et j’en suis bien désolée…