On ne trouvera personne pour estimer que ‘Fog’ est le film le plus iconique de Carpenter : ce n’est pas même un des hauts faits de sa carrière mais il constitue quand même le jalon qui le vit passer du statut de franc-tireur ingénieux à celui de réalisateur confirmé et reconnu, même si ce passage à l’âge adulte s’effectua dans la douleur. Le brouillard, éléments central du scénario, est évidemment indissociable du film d’épouvante puisqu’il symbolise ce qui est caché, la limite entre le monde rationnel et le monde intangible ou, plus symboliquement ici, entre ce qui est avoué et ce qui est tû : dans le cas précis de ‘Fog’, il s’agit tout autant de ce qui menace la petite communauté côtière que des raisons pour lesquelles cette menace surgit. Loin d’atteindre à nouveau l’aura révolutionnaire d’un ‘Halloween’, John Carpenter signe ici une histoire de fantômes on ne peut plus classique, dans l’esprit des récits d’Edgar Allan Poe ou même de H.P. Lovecraft, où tout repose sur l’attente fébrile d’un surgissement du surnaturel, dont on a déjà compris la nature bien avant qu’il apparaisse à l’écran. Même si la tension est maîtrisée, même si le surgissement final des spectres ne manque pas de panache, en terme strictement horrifiques, le résultat accuse aujourd’hui son âge : les effets spéciaux, comme celui de brouillard glissant sur l’océan, couplé aux sonorités synthétiques chères au réalisateur rappellent clairement que le film soufflera prochainement ses quarante bougies. A l’inverse, dans son esprit, ‘Fog’ est encore clairement une production des années 70, sans triomphalisme, sans héros et sans happy-end, qui dénonce les fondations viciées du rêve américain, puisque la prospérité de la petite ville s’est bâtie sur un crime sordide dont le souvenir a disparu des consciences. Ce choix n’avait pourtant rien d’évident au départ, pas plus que le rythme syncopé et l’atmosphère fataliste qui imprègnent le scénario. Au terme d’un tournage pro et cadenassé, bien éloigné du libertarisme bricoleur de ses débuts, Carpenter se rendit compte que le film ne fonctionnait absolument pas en l’état : il fallut en passer par un fastidieux re-montage intégral, la composition de cette fameuse B.O. électronique, la suppression de certaines passages et le tournage de nouvelles scènes (pour un volume équivalant plus ou moins à un tiers de la durée du film) pour que ‘Fog’ atteigne l’équilibre espéré. Nul ne sait ce qu’il sera advenu de cette première mouture puisque la version, quoique revue et corrigée par son auteur, ne fut malgré tout pas pas un grand succès...et d’ailleurs, Carpenter lui-même ne le considère que comme un “classique mineur� : au moins ce service après-vente imprévu servit-il d’entraînement à Carpenter pour les productions plus ambitieuses qu’il allait tourner au cours des années 80, et s’inscrit-il de cette façon dans une continuité cohérente, du point vue thématique et artistique, de la carrière de Big John.