Le thème central que poursuit Tommy Lee Jones dans ce superbe métrage est la perte de repères, la perte d'idéal et la désacralisation généralisé du monde dans lequel on vit, rien de moins.
En reprenant un canevas maintes fois développé par les grands maitres du western classique (Mann, Ford, Hawks) à savoir celui du justicier allant rechercher puis convoyer jusqu'au tribunal (ou gibet) le méchant outlaw, il sème justemment le trouble : le héros est-il vraiment un justicier, le méchant est-il vraiment coupable, la quête poursuivi est elle juste ?
Il sème des pistes mais se garde bien de répondre, et c'est de cette ambiguité, cette ambivalence que son film tire sa sincerité .
Il fait aussi le portait de personnages multiples mais si isolés arrachant une existence laborieuse au soleil et à l'ennui, procédant par petites touches, des scènettes droles, dramatiques qui rapelleront le bestiaire des frères Coen notamment, en plus triste tout de même.
Et puis il y a l'importance du désert, de la terre, du texas, monde sauvage à peine domestiqué, terre de transit, vers l'enfer ou le paradis, on ne sait pas trop .
Tranchée naturelle (?) entre américains, écoutant la radio espagnole sans la comprendre mais parce que c'est joli, et mexicains, fascinés par un soap hollywoodien qu'il ne comprennent pas plus, rayonnant trait d'esprit .
Subtil le Jones et même plus que ça quand par des plans d'une profondeur irréelle il filme ces paysages monstrueux ...
Alors j'ai été très ému par ce film, franchement très impressionné même, surtout par la première heure du métrage qui porte le sceau Inarritu, à savoir une narration éclatée qui a le grand mérite de supprimer toutes les scènes de transition pour ne garder que le meilleur et de multiplier les angles de lecture; la fin du film, linéaire, est de fait moins brillante (parfaite) et subit même quelques longueurs mais reste de très haute tenue et le dénouement impose le plus profond respect. Un film assez somptueux.