Guillermo Del Toro est un authentique conteur dont l'amour indéfectible du fantastique aura nourri une filmographie riches en mondes surréalistes et en en créatures monstrueuses. En véritable esthète du genre, il aura toujours su concilier ses aspirations thématiques avec les impératifs des studios, alternant avec maestria purs produits de commandes (Blade 2, Hellboy) et oeuvres personnelles (L'Echine du diable, Le Labyrinthe de Pan).
A priori, Le Labyrinthe de Pan apparaît à la fois comme une suite officieuse de L'Echine du diable dont il approfondit les thématiques, et une relecture du Voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki, tant le film partage avec ces deux oeuvres plus d'un point commun dont l'un des moindres est bien sûr l'opposition entre enfance et âge adulte, fantasme et réalité.
Le récit prend pour cadre l'Espagne de 1944. La guerre civile est terminée depuis cinq ans, les troupes de Franco ont vaincu la résistance, plongeant ainsi le pays dans plusieurs décennies de dictature. Pourtant, quelques groupes de rebelles ayant battus en retraite dans le maquis, résistent encore, envers et contre tout.
Ofélia est une jeune fille de douze ans qui accompagne sa mère enceinte jusqu'au QG de son nouvel époux, le capitaine Vidal, commandant une garnison reculée dans les montagnes. Très vite, Ofélia se heurte à l'hostilité et l'intransigeance de son beau-père et à la réalité de la guerre dans toute la cruauté qu'elle peut déployer.
A côté de l'implacable horreur du conflit, Ofélia est intriguée par les apparitions récurrentes d'un insecte étrange. L'insecte se muant bientôt en fée qui l'invite à la suivre, Ofélia s'aventure à sa suite, comme le fit Alice avec le lapin blanc, jusque dans un sous-terrain en pleine forêt où lui apparaît une grande créature se dénommant le Faune. Ce dernier, fascinant et inquiétant, déclare reconnaître en Ofélia la princesse Moana qui, quelques années auparavant, a fui son royaume sous-terrain pour partir à la découverte de celui des hommes. La lumière du jour l'ayant rendu amnésique, la princesse ne se souvient plus du monde d'où elle vient. Convaincu qu'Ofélia est sa souveraine, le Faune la persuade de s'acquitter de trois épreuves déterminantes censées lui assurer qu'il ne se trompe pas sur l'identité véritable d'Ofélia. Celle-ci, de ses yeux d'enfant, accepte de s'y plier alors que pendant ce temps sa mère se meurt et que son cruel beau-père met à jour un réseau de maquisards.
Ofélia est une héroïne qui, de ses yeux d'enfants, ne peut appréhender toute l'horreur qui l'environne. Elle n'est pourtant pas aveugle et se rend très vite compte de la réalité du conflit, de l'état de sa mère et du mépris que lui porte son odieux beau-père. Elle va donc découvrir à côté de ça, un monde féérique et inquiétant et se plier à une succession d'épreuves, l'éloignant le plus possible des complots qui se trament parmi les adultes.
Le Labyrinthe de Pan est donc avant tout le récit de l'évasion d'une gamine, fuyant la cruauté du monde adulte dans ce qu'elle a de plus extrême (la guerre, le fascisme) pour se réfugier dans le royaume du conte, tout aussi effrayant et peuplé de monstres puisse-t-il être.
En juxtaposant merveilleux et réalité historique, Del Toro souligne la porosité entre réel et imaginaire et la différence entre le point de vue d'Ofélia et ceux des adultes. Parce que l'horreur de la guerre est trop lourde à soutenir pour des yeux d'enfant, Ofélia va peu à peu tourner le dos à la réalité et s'investir de sa propre mission.
Le réalisateur ne perd pas de temps à annoncer son propos, le fantastique étant introduit dès le début du film à travers cet insecte longiligne qui attire la curiosité d'Ofélia et qui rompt le naturalisme du cadre.
Tandis que l'enfant s'exclut volontairement de l'horreur et des intrigues du monde adulte, son beau-père, le terrible Vidal, met un point d'honneur à mettre à jour le réseau des derniers rebelles repliés dans le maquis.
Vidal, par son indéfectible pragmatisme et sa hargne belliqueuse apparaît comme l'autre protagoniste du film et le principal antagoniste, un pendant négatif d'Ofélia, celui qui a depuis longtemps renoncé aux illusions de l'enfance (si tant est qu'il ne l'ait jamais été) et donc aux derniers vestiges d'innocence. Egocentrique, obnubilé par le prestige de son nom et de son rang, hanté par le souvenir de son père, Vidal est le contre-point d'Ofélia, sa parfaite anti-thèse, le réalisateur poussant malicieusement la comparaison jusqu'à faire s'asseoir à un moment les deux personnages sur un banc côte-à-côte sans un seul mot l'un pour l'autre mais partageant le temps d'un plan la même posture.
De même qu'il mettait en parallèle les parcours de Carlos et Jacinto dans L'Echine du diable, Del toro juxtapose les trajectoires d'Ofélia et de Vidal jusqu'à les confronter inéluctablement dans son final.
Les monstres les plus dangereux ne sont pas toujours les plus effrayants, nous dit le réalisateur, certains d'entre eux portent seulement le masque humain du fascisme.
Ainsi la séquence où Ofélia fuit devant le monstre diaphane et longiligne hantant le royaume sous-terrain préfigure-t-elle la dernière scène où Vidal poursuit Ofélia dans le labyrinthe.
Del Toro conclut alors son récit de la manière la plus évidente et cruelle qui soit, figeant Ofélia dans son statut d'enfant sacrifié, entrouvrant à peine une ultime porte vers l'aboutissement du merveilleux, pour refermer sobrement l'intrigue sur le deuil du monde adulte.
Del Toro voyait ce film comme la synthèse et l'aboutissement de son oeuvre ultérieure. Force est de reconnaître qu'il avait raison tant Le Labyrinthe de Pan s'inscrit dans la démarche artistique d'un auteur qui n'a jamais sacrifié au réalisme son amour inconditionnel du fantastique. Une filmographie cohérente qu'il poursuivra admirablement et sur laquelle trône depuis déjà presque dix ans ce sublime labyrinthe.