J'ai une affection non dissimulée pour l'art de Guillermo Del Toro; sa duologie Hellboy, son excellent Blade, le délire Pacific Rim et le gothique Crimson Peak, tous ces films, visuellement très généreux, ont une propension non dissimulée pour le rêve et le fantastique pur et dur. Le Labyrinthe de Pan tenait une place de référence dans sa carrière, jusqu'à lire, par ci par là, qu'il représente l'apothéose de l'art du mexicain.
J'étais en droit de m'attendre à prendre une claque, et si le film possède d'évidentes qualités, c'est qu'il ne sait jamais trop où se positionner pour déterminer le genre auquel il appartient. Entre le fantastique et le drame historique, Le Labyrinthe de Pan (non particulièrement mensonger) alterne les passages contés et les scènes d'action/violence/exactions, marquant un drôle de passage dans la carrière de l'artiste.
On y tient sûrement son film le plus matûre, le plus en phase avec son temps et son passé, qui gère parfaitement l'évasion de l'enfance face aux horreurs des personnes adultes, avec toute l'imagination et l'innocence inhérente à l'enfance. Une perversion de la figure paternelle, incarnée par le beau-père franquiste et sadique, qui se retrouve dans le monde imaginaire de la petite Ofelia, parfaitement interprétée par une jeune Ivana Baquero malheureusement trop rare dans le cinéma actuel.
C'est à l'excellent Doug Jones que revient la tâche d'inséminer le monde adulte dans la psyché de l'enfance : il y parvient à merveille en nous livrant une interprétation parfaite de ce monstre laid et techniquement magnifique, démonstration supplémentaire de la virtuosité de l'équipe technique travaillant sur chaque projet de Del Toro, et de la richesse de son imagination visuelle.
Figure perverse et dérangeante, ce faune sert donc de guide dans la quête initiatique de notre héroïne, qui passera par toutes les étapes du deuil avant d'être forcée à accepter l'inévitable, et d'arriver vers cette conclusion terrible qu'on connaît déjà puisque révélée dès l'introduction, terrible destinée qu'on ne pourra pas éviter.
Sur le papier, c'est génial. Dans la forme, on pouvait espérer mieux : si c'est visuellement très réussi (on connaît la maîtrise de la mise en scène de Del Toro, et la constante beauté de la photographie de ses films), on se questionnera sur la bêtise du comportement de notre héroïne qui, fasse aux avertissements et au danger, n'hésitera pas à faire exactement ce qu'il ne fallait pas faire, produisant une scène de course-poursuite certes angoissante, mais dénuée de toute logique puisque visiblement survenue pour encore apporter un peu de profondeur au bestiaire, et y amener une source d'action supplémentaire.
Quelques incohérences et des comportements illogiques font que, comme face aux slashers des années 80, l'on ne pourra s'empêcher de pousser des gueulantes exaspérées, et clamer des conseils pour mieux réfléchir et mieux agir. S'y ajoutera un manichéisme affreusement simpliste qui, s'il pouvait être une vision pertinente pour le monde fantastique, ne trouve plus aucune logique dans le propos amené par le monde adulte, seulement animé par les gentils résistants et les méchants soldats.
Un brin de complexité d'enjeux aurait pu amener des personnages plus approfondis, et pour lesquels on aurait enfin pu ressentir quelque chose, puisque si l'on omet le personnage de Baquero, touchante et vulnérable, les autres ne marqueront que comme des caricatures de figures historiques, moyen parfait pour simplifier la représentation de l'histoire à l'époque, des enjeux et des vies qui s'y jouaient.
Et s'il est très divertissant, Le Labyrinthe de Pan déçoit aussi par son aspect schizophrène : entre le drame historique et le conte de fée pas si merveilleux, il ne sait jamais vers lequel tendre vraiment, restant à la frontière entre les deux sans en approfondir aucun. Sûrement est-ce du à sa longueur de deux heures, et qui fait qu'il pourrait manquer du développement de cet univers fantastique duquel on entend finalement peu parler, le film se tournant plus vers le quotidien de notre héroïne que vers ses évasions enchantées.
Un détail qui ne m'aurait pas gêné si la représentation du monde réel n'était pas, comme précisé plus haut, à ce point maladroite et simpliste : s'il peut beaucoup apporter en terme de folie visuelle et de combats acharnés, Le Labyrinthe de Pan ne sait jamais trop comment développer ses thèmes et ses enjeux, restant dans une caricature historique de la période franco, préférant nous tendre un portrait primaire et monochrome de la guerre plutôt que de tenter de remettre en question nos certitudes, de nous interroger sur ce qui détermine que l'on ait héros ou antagoniste de l'histoire.
Beaucoup trop simpliste dans son propos, Le Labyrinthe de Pan s'est, à mon sens, trompé de voie : là où il excellait à nous présenter son univers féérique riche et glauque, c'est dans le registre du conte angoissant qu'il aurait du passer le plus clair de son temps de visionnage, plutôt que de nous laisser une représentation maladroite de la guerre et du franquisme, là où le seul personnage du guide monstrueux trouvait toute l'ambiguïté qu'il manque aux autres personnages présentés dans le monde réel. Coche raté, film sympathique, mais loin du chef-d'oeuvre qu'on me vendait.
Shape of water rattrapera sûrement mes espérances envers l'artiste?