Cinq ans après L’échine du Diable, fable fantomatique et portrait d'une Espagne déchirée par la guerre civile, Guillermo Del Toro retrouve cet univers si particulier pour un de ses films les plus personnels, allant jusqu’à renoncer à son salaire pour que son rêve se réalise. Le résultat c’est Le Labyrinthe de Pan. Oeuvre majeure de sa filmographie, à la fois tragique et lumineuse, ode portée sur l'imaginaire et l'enfance. Un film très poétique, et sans doute l'un des plus beaux films fantastiques que l'on ai pu voir ces dernières années. Del Toro aborde au début la même idée que l'échine du Diable : parvenir à créer d’un côté une peinture brutale et noire de l'Espagne rongé par la guerre civile et qui, sans aucun répit, replonge dans une situation politique et sociale destructrice, et de l’autre une véritable fable mythologique, jusqu’à faire se briser la frontière entre les deux et en observer l’habile mélange. Les plus sceptiques craindraient que le réalisateur modifie l'Histoire elle-même. Mais pourtant il n'en est rien. En effet, le film est une association virtuose, fruit d’un imaginaire foisonnant et dépourvu de la moindre once de cynisme, qui en fait une œuvre à la fois spectaculaire par ses embardées fantastiques, mais surtout véhicule d’une émotion intense au moment d’aborder l’intime. On a presque l'impression de visionner un long-métrage de Miyazaki : cette idée de mettre une jeune fille sensible et naïve, qui veut fuir la dure réalité en s'enfonçant dans le fantastique et l'imaginaire. Son Alice se nomme Ofelia, et son aventure n’est vraiment pas comme les autres. En effet, plus qu’une simple échappatoire, le traitement de l’imaginaire est ici à la fois salvateur car il propose une alternative, mais également destructeur. Car dans Le Labyrinthe de Pan, au fur et à mesure que l’aventure progresse, en même temps que le drame devient plus pesant, l’imaginaire s’avance de plus en plus dans le réel jusqu’à le contaminer littéralement, pour ensuite l’avaler. C’est à la fois extrêmement positif et terrifiant, car le point de non-retour est synonyme de la fin de toute chose, et pour cette héroïne si fragile et si forte à la fois, il n’y a pas d’alternative. Et dans cet univers imaginaire, Del Toro réussit un tour de force formidable à faire se côtoyer des créations monstrueuses très modernes avec une imagerie classique. Le Faune, le Pale Man et le Dieu-crapeau sont autant le fruit de l’imaginaire du réalisateur que des variations autour de mythes anciens tels que l’ogre ou le Saturne de Goya. Et chaque acte provoqué dans cet univers fantastique, a des impacts sur le monde réel, et sur les personnages qui sont autour : il s'agit avant tout d'une fille qui cherche à reforger le cocon familial détruit par la guerre civile. Ainsi, chaque personnage, interprété par des acteurs tous aussi excellents les uns que les autres, devient un symbole. Tyrannie pour Vidal, bonté pour Mercedes, lutte intestine pour le docteur, et ainsi de suite. Ces relents mythologiques font du Labyrinthe de Pan avant tout un conte moderne, dont l’écho historique n’est pas sans rappeler une certaine idée de l’Espagne contemporaine et certaines dérives. Ainsi, Le Labyrinthe de Pan est une oeuvre majeure de la fantaisie, qui porte clairement la marque de son auteur. Un des auteurs les plus importants de notre époque et dont la grammaire cinématographique ne cesse de s’affirmer comme un mode d’expression fondamental.