Il fut un temps où chacun pouvait cueillir des fruits et pêcher des poissons qui n'appartenaient qu'à la nature, on pouvait décider de vivre ou mourir sans contre-partie, c'est à dire qu'on avait pas besoin d'argent, donc pas besoin de travailler. Manque de pot, aujourd'hui, symbole de l'esclavage moderne, on n'a plus le choix, pour survivre, on doit trouver de l'argent. Rentier, assisté social, chanceux au loto, esclave salarié, voleur, menteur politique aux poches pleines, tous les moyens sont bons, mais il faut de l'argent. Que se passe t'il alors dans un pays où la principale source morale d'argent se tarit, j'ai nommé l'emploi ? On se retrouve face à un piège moderne où la survie va dépendre d'autres facteurs que l'honnêteté ou l'acharnement au travail. En d'autres termes, quand le gâteau n'est pas plus grand, mais qu'il y a plus de convives, il faut bien trouver une solution, et celle de se serrer la ceinture n'est pas exactement celle qui se situe dans notre siècle consumériste. En dehors de toute hypocrisie
ou de politiquement correct, le réalisateur a voulu simplement aller au fond des choses pour ce qui est du travail.
Imaginez un film social, aussi intelligent que tous ceux qui ont eut le courage de s'adapter au sujet du travail en France, mais qui ne soit pas déprimant ?
Imaginons même que ce soit carrément drôle ?
Attention, uniquement de l'humour noir et cynique, mais très très drôle.
C'est le tour de force de Costa-Gavras, et je ne m'y attendais pas du tout de sa part ! Ce film est excellent, il dénonce la fin du capitalisme face à ses propres aberrations. Toutes les remarques des malheureux héros sont simples et de bon sens, et sont un excellent résumé des statistiques du chômage et du Rmi, les personnes en lice ne sont pas les paresseux si souvent mis en exergue par le Medef, mais bien des personnes hyper-diplômées qui en plus savent réfléchir. Sans doute trop !
Bien sûr, le propos est totalement immoral, mais la vraie morale de notre société qui ne sait plus s'assumer, c'est bien de nourrir ses enfants, non ? Pourquoi donner à rêver (les nombreuses affiches vues dans le film sont aussi une dénonciation du modèle qui pousse inconsciemment par harcèlement à aller plus loin) si l'on ne peut plus privilégier que 30% des actifs (donc très peu des Français) à peine ?
Et encore, même eux ne sont plus à l'abri d'un plan social planétaire ou simplement européen.
Ce film a le mérite de mettre chacun devant ses responsabilités, si le modèle amène à ce type de
comportements, et ça viendra quoiqu'en pensent les humanistes, pourquoi continuer à y croire ?
L'avantage, c'est que toutes ces questions sont soulevées, mais en filigrane, par des dialogues percutants, qui se fondent dans une construction de polar passionnant. Où l'intelligence n'amène pas à des comportements humains, mais bien des comportements de profiteurs malsains ou malhonnêtes. Bien sûr le trait est très forcé, le jeu de José est trop parfait pour un être humain et non un mercenaire, Karin Viard est une épouse comme on n'en fait plus, simplement amoureuse, donc un peu invraisemblable, mais le reste de la société est lui parfaitement dépeint, avec ses épouses qui partent parce que le compagnon n'a plus de travail, ou qu'il en a trop !
Avec aussi la scène obligatoire de l'entretien d'embauche, particulièrement cynique et "professionnelle", c'est à dire inhumaine.
Le niveau de jeu de Garcia est proche du zénith, vivement le prochain Houellebeq. Tous les seconds rôles venus de la TV sont très bien dirigés. Le suspense est parfait, on se s'ennuie pas une seconde, il n'y a aucune hypocrisie, beaucoup d'humour noir, beaucoup de surprises, beaucoup de banlieues stéréotypées, marque des ravages du modèle pavillonnaire sur notre pays en 60 ans. Bref, un très bon film sur la vraie vie, avec une incursion dans l'anticipation, hélas bien trop proche et prévisible. L'autre paramètre très réussi, c'est la paranoïa ambiante, comme celle que connaissent tous les employés à chaque mauvaise nouvelle, comme celle que connaissent toutes les femmes à chaque cheveu inconnu sur une veste d'homme. Tout est fait pour montrer que non, on ne vit pas si heureux dans nos sociétés, même quand on le croit. Tous les protagonistes se posent beaucoup de questions sur leurs actes, leur perception et la vision des autres.
On sent une étude de fond, un travail américain de script où rien n'est laissé au hasard, bref, on est loin d'un film français paresseux de copinage et pseudo-intello. C'est nerveux, excellent, passionnant, presque génial. Quant à la fin, elle est digne du script, simplement parfaite, on est loin d'Hollywood et de ces happy end mièvres. Encore une fois, c'est le meilleur film de l'année, et personne n'en a parlé, à part de la prestation de Garcia. La politique du lavage de cerveau fonctionne à fond en ces temps de "positive attitude" obligatoire. Courrez-y pendant que ce genre de film peut encore exister.