Dix ans séparent l'adaptation Aux abois des Derniers jours d'Emmanuel Kant, l'avant-dernier film de Philippe Collin. Durant ce laps de temps, le réalisateur s'est notamment consacré à son activité de critique cinéma pour le magazine Elle et l'émission radiophonique Le Masque et la plume, diffusée sur France Inter.
Son premier contact avec le roman Aux abois de Tristan Bernard remonte à plus de vingt ans, quand le livre est sorti en 10/18 chez Bourgois. Le cinéaste se souvient : "La personne qui a été déterminante pour que le film se fasse, c'est Béatrice Caufman, que je connaissais un peu. Je lui ai fait lire le livre et elle m'a dit : "On le fera, je te le garantis." Ça a pris trois ans mais effectivement, on l'a fait."
L'action du roman de Tristan Bernard se déroule dans les années 30, mais Philippe Collin a fait le choix de transposer son film dans les années 50. Il s'en explique : "Le seul impératif, c'était que le film se situe à un moment où la peine de mort existe. Ce qui laissait une certaine marge :entre Charlemagne et François Mitterrand ! Le style des années 30 est plus marqué que le style des années 50. Il est aussi plus éloigné de nous. En restant dans les années 30, jeme serais senti pris au piège du travail de reconstitution."
En composant cet assureur aux pulsions meurtrières, Elie Semoun, habitué d'ordinaire au registre comique, renoue avec le drame, un genre qu'il avait expérimenté en 1999 avec Stringer. Philippe Collin explique son choix : "C'est un contre-emploi... tout contre ! J'aime beaucoup les gens qui peuvent comme ça faire rire 600 personnes d'uncoup tous les soirs. C'est ce magnétisme qui m'intéressait, mais il s'agissait d'en faire autre chose. Il s'agissait de faire rire 600 personnes peut-être mais séparément. Comme on a tousles deux une passion pour les crooners, je citais Frank Sinatra à Elie en exemple, qui est supérieur à tous les autres, parce qu'il donnait l'impression de chanter pour chaque personne séparément, pas pour la salle entière."
Pour son rôle, Elie Semoun s'est un peu inspiré du jeu d'acteur de Daniel Auteuil. "Souvent, il incarne des personnages comme ça, complètement opaques comme dans L'Adversaire, explique-t-il. Je peux me permettre de dire ça, parce que lui-même m'a dit un jour qu'il s'était inspiré d'un personnage que je joue dansmon spectacle quand il était sur scène. Et puis j'ai beaucoup pensé à "L'Etranger" d'Albert Camus. Comme Meursault, Paul est un type qui trouve un sens à sa vie en se tuant. Mais il est quand même un peu plus sympathique que le héros de Camus !"
Excepté Elie Semoun, la distribution est largement constituée d'acteurs qui ont une grande expérience du théâtre : Jean-Quentin Chatelain, que Philippe Collin a notamment remarqué dans une pièce de Walser où il jouait un petit garçon de douze ans, Laurent Stocker, qu'il avait vu dans un Feydeau il y a quatre ans, ou encore Philippe Uchan, repéré par le cinéaste dans Madame sans gêne au Théâtre Antoine.
Philippe Collin explique ce choix : "Je ne fais pas du tout mes films "contre" mais je ne supporte pas le chuchoté de tout un cinéma actuel où, dès qu'il y a une scène d'intimité, les gens baissent la voix. Si on veut dire qu'il pleut, il faut le dire. Les gens comme Jean-Quentin Chatelain ou Henri Garcin sont des gens qui disent les choses, qui les jouent, et osent articuler "à l'ancienne"..."
Philippe Collin explique sa fascination à filmer les objets : "Mon attirance pour les objets est sans doute liée à moncaractère solitaire. C'est très important le rapport que l'on a aux objets dans le quotidien, dans la répétition des gestes. Je pense même qu'on pourrait faire un film entièrement avec des objets, sans personne. Je pense que le vrai voyeur attend qu'il n'y ait personne, afin de pouvoir regarder la pièce vide, qui vit alors différemment."
Sabine Azéma était initialement pressentie pour jouer aux côtés d'Elie Semoun, mais elle abandonna finalement le projet pour laisser sa place à Ludmila Mikaël.