Bug, cela signifie insecte. Dans le film de Friedkin, les insectes sont partout, et nulle part à la fois, puisque seul Peter les repère. Au début, Agnes ne les voit pas et se moque même de la phobie de son compagnon ; ce n'est que par la persuasion qu'il réussit à la convaincre de leur présence, et à l'instar de tout un chacun qui se met à se gratter la tête dès qu'il entend parler de poux, elle en arrive à se scarifier pour se débarasser d'eux, ce qui est un moindre mal par rapport à l'automutilation que pratique Peter (âmes sensibles, s'abstenir !).
La force de Friedkin, c'est de placer le spectateur dans la même situation que celle d'Agnes. Après tout, comparé aux autres personnages (une serveuse dépressive et un ex-taulard violent), Peter à son arrivée a l'air calme et raisonnable, et même s'il semble auréolé d'un mystère et porteur de quelque chose de douloureux, on comprend qu'après toutes les épreuves qu'elle a traversées, Agnes ait eu besoin de se réfugier sous son aile. Quand il commence à pourchasser les bestioles, on peut accepter ses explications : qui a déjà vu un aphide ? Seules quelques images subliminales d'insectes nous annoncent que les bugs ne sont peut-être ceux dont on parle.
Car bug, cela signifie aussi une anomalie de fonctionnement d'un programme, depuis qu'un papillon nocturne s'est pris dans l'ordinateur d'Harvard en 1946, inspirant le cafard qui transforme de nom de Tuttle en Buttle dans "Brazil". Et le film nous parle du bug mental que représente la paranoïa, comment un petit fait peut entraîner en cascade une série de dysfonctionnements jusqu'à l'implosion de tout le système. Les insectes sont ici une métaphore de la maladie mentale, insidieuse et douloureuse à la fois.
De la paranoïa, le film reprend deux caractéristiques : l'enfermement et la structuration. L'enfermement, puisqu'à l'exception d'une ou deux scènes, tout se passe dans le studio du motel (hommage à "Psychose", de son modèle Hitchcock et autre grand film sur la paranoïa ?). William Friedkin retrouve ainsi le huis clos qui marquait la dernière demi-heure de "L'Exorciste", et sa mise en scène réussit à renouveler en permanence la façon de capter cette claustration - même s'il utilise des techniques surannées comme les zooms avant.
La structuration, à la fois dans le découpage et l'évolution du décor jusqu'à cette alu-cinante chambre de décontamination digne de Lynch ou de Cronenberg, et dans la logique implacable du discours délirant du complot, culminant dans le monologue d'Agnes où elle intègre dans une cohérence implacable les mutations génétiques, Timothy McVeigh (l'auteur de l'attentat d'Oklahoma City) et Unabomber. Risible et terrifiant, surtout dans un pays qui a gobé sans sourciller la fable des armes de destruction massive.
William Friedkin explique : "Dans Bug, il y a bien entendu les insectes, la paranoïa rampante, mais c'est surtout l'histoire d'une personne qui prend l'ascendant sur l'autre et qui la contrôle". Cette prise de pouvoir est filmée magistralement, d'autant plus que les procédés utilisés par Peter vis-à-vis d'Agnes sont les mêmes qu'emploie Friedkin vis-à-vis du spectateur (ne pas montrer, juste persuader), et Ashley Judd donne corps avec l'énergie du désespoir à ce personnage écorché - du sens figuré au sens propre. Construit sur un crescendo haletant, "Bug" est le film drôle et effrayant d'un malicieux jeune homme de 68 ans, qui a réussi à créer une atmosphère proche de celle de deux cinéastes qu'il déclare admirer, Clouzot et Haneke.
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