Pendant près de trois heures, Munich traque, tue et traque encore. Aucune indication quant à la date, au lieu, à la saison. Aucune information relative au passé des personnages, sinon un événement traumatique qui obsède Avner au point de venir le hanter, le soir, sous la forme de cauchemars. On parle anglais, français, allemand, hébreu, italien, russe. On traque, on tue. Le choix d’un resserrement du récit sur la mise en place puis l’exécution des attentats met le spectateur sous tension permanente, accentuée par la partition musicale de John Williams forte de motifs lancinants et d’un thème minimaliste qui continuent de vibrer une fois le générique venu. Steven Spielberg signe un chef-d’œuvre, un huis clos extérieur qui change la géographie urbaine en un dédale de carrefours fatals, qui fait de l’éclairage public le révélateur de la noirceur inhérente au genre humain, dessinant derrière chaque individu une ombre qui le suit et lui colle à la peau, jusqu’à fusionner avec lui lorsque le corps gît là, sur le pavé ou dans l’ascenseur. Munich articule deux notions essentielles au geste cinématographique de Spielberg : la famille et la violence. La famille se décline sous différents niveaux qui s’emboîtent les uns dans les autres : elle est conjugale, elle est nationale, elle est religieuse, et le père dans tout cela doit se battre sur tous les fronts, se faire le bras armé de tous les combats sans se rendre compte – ou trop tard – qu’appliquer ainsi la loi du talion ne placera pas les siens à l’abri du danger. Car la violence apparaît ici sous un jour en demi-teinte : à la fois constitutive de l’identité familiale puisqu’elle trace une ligne de partage entre amis et ennemis, membres et personnes extérieures – c’est d’ailleurs ce que « papa » Lonsdale rappelle à Avner – et origine du chaos qu’il faut affronter. Chaque agent est un soldat de Dieu en puissance envoyé sur place pour venger les siens et leur offrir la terre ancestrale qui leur appartient. Aussi le long métrage ne cesse-t-il de mettre en rapport les différentes familles pour mieux en exacerber les interférences, allant jusqu’à rompre la confiance et la communication lors de l’appel téléphonique avec « papa ». Cette interpénétration des familles se déploie sous la forme d’un crescendo dramatique qui resserre l’intrigue autour d’Avner, comme pris au piège de son propre engagement dans la violence. L’affiche de Munich représente un homme seul et plongé dans le contre-jour de la fenêtre qui, elle, resplendit de lumière. De part et d’autre, des rideaux dont la pourpre évoque la couleur du sang qui coule. Avner est un soldat de l’ombre, un frère, un fils et un père à qui la lumière supérieure reste occultée et inaccessible, encadré par les crimes qu’il a commis et qui le tourmentent. La construction du scénario privilégie à juste titre l’accélération comme vitesse dans laquelle le tueur trouve aveuglement et répit illusoire à son jugement, lui inévitable. Les missions ne sont que des reflets, des chimères ; le cinéaste multiplie les écrans, les miroirs, les carrosseries luisantes, les vitres recouverte de pluie dans lesquels se réverbèrent les acteurs, s’agitent les aveuglés. Le véritable tribunal sera sa famille, son domicile familial, sa chambre à coucher dans laquelle la souillure se mêle au sexe, empêche d’atteindre l’extase et de prendre son envol. Avec Munich, Steven Spielberg interroge la violence et le sens que lui donnent celles et ceux qui la revendiquent comme seule issue possible à une guerre perpétuelle. Transparaît à terme à pacifisme bouleversant, bouffée d’air après deux heures trente de suspense mis en scène avec brio et photographié avec génie par Janusz Kamiński. Chef-d’œuvre.