Eh bien, Spielberg ne chôme pas. Le Terminal en 2004, La Guerre des Mondes en juillet 2005, et voici son nouvel opus à la fin de la même année. Pour autant, ne vous méprenez pas: ce n'est pas parce que le Boss des réalisateurs enchaîne les projets qu'il oublie de les emballer comme personne.
C'est d'autant plus vrai qu'il s'attaque ici à un sujet plus que brûlant, à savoir l'attaque au J.O de Munich en septembre 1972, et tout spécialement ses répercussions. Car si l'on connait le bilan de cette prise d'otages par le groupe palestinien Septembre Noir - 11 athlètes israéliens tués - on est en revanche moins au courant de ce qui s'est passé ensuite. Ce que raconte Munich...
Pour analyser clairement ce nouveau film de Spielberg, il convient de le mettre en parallèle à l'œuvre phare du réalisateur, La Liste de Schindler. En s'attaquant à la Shoah, le cinéaste triomphait doublement. D'une part, il prouvait qu'il était autre chose qu'un entertainer haut de gamme (apparemment, certains en doutaient). Mais surtout il démontrait que même en parlant d'un sujet aussi horrible et bouleversant, il savait distiller une ambigüité inattendue. Avec son héros, profiteur aveugle qui se trouvait une conscience. Ou tout simplement d'Amon Göth, qui laissait transparaître l'humain derrière le bourreau nazi. Comment qualifier ces deux personnages, d'une complexité remarquable, qui rendaient le film encore plus passionnant? Eh bien, on se surprend à établir le même constat entre les protagonistes de Munich.
En une seule réplique, les scénaristes Tony Kushner et Eric Roth mettent le doigt sur l'absurdité de la besogne d'Avner et de ses hommes. En qualifiant les différents attentats auxquels se livrent les deux camps de "dialogue", le film résume parfaitement le non-sens de ce conflit opposant Israël à la Palestine. Un "dialogue" sans parole ni échange, mais parsemé de bombes et fusillades. Où trouver de l'espoir dans une telle configuration ? On le cherche, il apparait subrepticement. Par moments, il se glisse derrière la lucidité froide de Carl (Ciarán Hinds, impérial), dans le regard résigné de Hans (Hanns Zischler, fantastique) ou l'incertitude patente de Robert (Mathieu Kassovitz, touchant).
Mais généralement, il prend l'apparence d'Avner, superbement campé par Eric Bana. Mais le vengeur du Mossad est un Janus à deux visages. L'une de ses faces est obnubilée par le passé, l'attentat, qu'il ne distinguera clairement qu'à la fin. Et l'autre ne voit pas plus loin que sa mission, si tant est qu'elle puisse s'arrêter un jour. **Le film est noir, incroyablement noir. Si les rais de lumière se frayent un passage de temps à autre, lors d'une cohabitation bon gré mal gré (superbe scène), ils ne durent jamais. L'obscurité domine. Le sentiment de malaise persiste, et culmine lors d'une séquence intime (registre rarement abordé par Spielberg) où pulsions de mort et pulsions de vie s'étreignent jusqu'à implosion.
Munich fait partie des meilleurs travaux du réalisateur, tout en haut de la liste. Sa construction scénographique l'instaure parmi les modèles à voir et à revoir. Le metteur en scène n'a pas son pareil pour poser le contexte (plans panoramiques ou steadicam monumentaux), amener l'élément perturbateur qui bloque la mécanique, et laisser son sens de l'image resserrer l'étau impitoyablement. Il sait également jouer avec l'attente ou les ruptures, en coupant volontairement la musique (nouvelle pépite de John Williams, d'ailleurs) pour laisser les sons et mouvements faire monter naturellement le suspense. Chaque scène cloue au fauteuil avec une efficacité telle qu'on ne peut tirer que ce constat : Spielberg n'est pas le Maître pour rien. Peut on tiquer sur l'absence de parti pris de Munich ? Mais son absence n'est-elle déjà pas un parti pris éloquent ? On a souvent taxé (injustement) le cinéaste de naïf, mais le film démontre sa grande intelligence quand il s'agit de regarder en face l'horreur du realpolitik et de ses glaçantes répercussions sur l'avenir (funèbre plan final).
Pur chef-d'œuvre. Sûrement son œuvre la plus dense et riche depuis La Liste de Schindler. Vous ne serez donc pas étonné qu'il siège à ses côté parmi mes favoris du metteur en scène.