Robert Altman était un iconoclaste et un dilettante qui en réalité aura beaucoup travaillé. En effet, 35 long métrages jalonnent une carrière de près de quarante ans, sans compter les téléfilms et réalisations d’épisodes de séries télévisées. Alors qu’il participe à une interview pendant le tournage de « Trois femmes », quelqu’un dans la salle lui demande quel sera son prochain film. Altman regardant sur la table devant lui les magazines consacrés aux mariages, répond : « Un film sur l’industrie du mariage ». Il demande alors à John Considine, un de ses assistants, s’il veut écrire le film avec lui. Là est tout Altman qui conçoit son art comme une improvisation permanente qu’il cherche ensuite à rendre cohérente. Entreprise toujours périlleuse qui l’a poussé quelquefois dans le fossé mais lui a aussi permis en donnant libre cours à sa créativité de ne jamais se renier tout en livrant une série de films inoubliables comme « That cold day in the park » (1969), « M.A.S.H » (1970), « John Mac Cabe » (1971), « Le privé » (1974), « Nashville » (1975), « Trois femmes » (1977) ou « Short cuts » (1993). Célébré à Cannes dès 1970 avec « M.A.S.H » qui fit l’effet d’une bombe en raison de son regard complétement décalé sur le conflit du Vietnam, teinté d’une virulence extrême derrière la farce portée par les deux médecins hippies interprétés par Donald Sutherland et Elliot Gould, Altman a toujours pu compter sur l’appui de la critique intellectuelle. Avec « Un mariage », il part encore une fois à l’aventure, s’imposant en sus le pari osé de faire vivre sur la toile le double de personnages que contenait « Nashville » (soit 48 au total). Quand il a fait cette réponse spontanée à un journaliste, Altman n'avait certainement pas oublié la célèbre et longue ouverture du « Parrain » (1972) dans laquelle Francis Ford Coppola avait somptueusement mais aussi doctement présenté tous les membres de la famille mafieuse italienne au sommet de laquelle trônait le parrain Don Corleone, objet du retour en grâce miraculeux de Marlon Brando. Le regard acerbe sur les mœurs de la haute bourgeoisie du Middle West est certes bien présent dans « Un mariage » comme l’a souligné la critique mais ce n’est donc sans doute pas un complet hasard si Altman a demandé à Vittorio Gassman d’incarner un mafieux, muselé par une « marraine » prenant les traits de Lilian Gish, l’ex-muse de David W. Griffith, qui ne recevra pas dans son bureau plongé dans la pénombre comme le Marlon Brando bouffi de Coppola mais dans sa chambre alors que mourant peu de temps avant le retour des invités de la cérémonie, elle continuera post-mortem à jouer les chefs de clan via les quiproquos entre ceux qui savent, ceux qui ne savent rien et ceux qui commencent à douter de ce qu’elle est devenue. Robert Altman s’offre en quelque sorte son « Parrain » revu et corrigé sauce loufoque mais il ne sortira jamais sa caméra de la réception, jugeant que grâce à la profusion de personnages et d’excellents acteurs à sa disposition, il pourra mener son affaire à bon port. Entre le sous-sol, repère privé de Gassman et les nombreuses salles de bains de l’immense manoir où tout le monde se retrouve, les petits secrets et travers que chacun porte en soi sont exploités à dessein par un Altman certes bien inspiré mais aussi victime des traits caricaturaux dont il a affublé certains personnages qu’il ne parvient pas à faire sortir des rails dans lequel le scénario les a placés. On sourit donc souvent sans vraiment savoir où le réalisateur veut nous emmener. Ses admirateurs inconditionnels, au premier rang desquels ses acteurs qui ne tarissent pas d’éloges sur l’ambiance qu’il était le seul à savoir diffuser sur un plateau, lui pardonneront les petites incohérences narratives et blagues tombant un peu à plat qui nuisent à la fameuse cohérence d’ensemble qu’il s’évertuait toujours à trouver, faisant de ses films des peintures impressionnistes. Reste, l’incroyable talent déployé pour donner sa pitance à chacun de ses acteurs qui consacre Altman comme un réalisateur unique dont le moule est peut-être définitivement brisé. Certains n’ont pas compris la fin tragique qui cadre mal avec la tonalité générale plutôt enjouée du film. Mais ne rien faire comme les autres était un mode de vie pour celui qui avait littéralement dynamité le conformisme du Festival de Cannes en 1970. Le film a eu entre autre le mérite, outre les quelques stars présentes (Vittorio Gassman, Lilian Gish, Mia Farrow, Géraldine Chaplin), de sortir de l’ombre Howard Duff impeccable en médecin alcoolique et libidineux, Carol Burnett grande actrice de théâtre impayable en grande bourgeoise un peu nunuche à la libido soudain réveillée, Pat McCormick génial en amoureux transi faisant sa déclaration sur le mode éléphant de mer ou encore le réalisateur vétéran John Cromwell, alors âgé de 90 ans, en révérend gâteux, complétement porté à bout de bras par son bedeau et ses servants d’autel mais qui retrouve soudainement une bonne partie de ses sens une fois le vin de messe avalé. Bien d’autres encore, parfois pour de courts instants mais jamais négligés et toujours filmés avec bienveillance. C’était de cet amour des comédiens et la folie créative qu’il attendait d’eux dont était fait le cinéma d’Altman. Un Altman qui en raison de l’importance numérique du casting avait dressé une grille de salaires à trois niveaux. Les deux stars (Vittorio Gassman et Carol Burnett) ne touchant que cinq fois plus que les petits seconds rôles. La classe, non ?