Arizona Dream est une grande réussite cinématographique, et un des meilleurs films de Kusturica.
L’interprétation d’abord est exceptionnelle. Elle est portée par de grands acteurs, et notamment Johnny Depp. Comme souvent, il trouve ici un rôle excentrique, un peu bizarre, qui lui va comme un gant. Il crève l’écran, littéralement. A ses cotés, de grands noms, en particulier Faye Dunaway très convaincante, Jerry Lewis dans une prestation à la fois drôle et émouvante, registre qui lui convient parfaitement. Je ne peux non plus oublier la prestation très convenable de Vincent Gallo. Néanmoins, celle qui étonne le plus c’est Lili Taylor. Dotée d’un rôle d’une grande puissance, qui donne d’ailleurs à la fin du film une portée remarquable, elle est littéralement investie par son personnage, et livre une composition impressionnante de conviction et de charisme. Pour ma part c’est un peu la surprise au milieu d’un casting impressionnant.
Le scénario est lui aussi sublime. Abandonnant la narration traditionnelle, le film aborde le thème du rêve, et le fait magnifiquement sur plusieurs niveaux de lecture. Au premier niveau on trouve ces images irréelles, notamment ce fameux poisson qui traverse le film, des séquences excessives, presque aux limites de ce qu’un Ionesco aurait pu concevoir. A des niveaux plus approfondies on rentre dans les méandres des esprits, des désillusions, des espoirs qui font avancer ou marquent la fin du chemin. Arizona Dream développe une profonde poésie, souvent mélancolique, teintée de drôlerie parfois, et d’autres fois, sur la fin en particulier, de noirceur. Le film dégage beaucoup d’émotions, de lyrisme, c’est très plaisant à suivre, toujours très intelligent. J’ai rarement vu un film faire preuve d’autant de finesse, en se permettant pourtant, des moments de grandiloquence rare. Au niveau du rythme, malgré sa longueur il est difficile de s’ennuyer devant Arizona Dream tant il est riche et consistant.
Visuellement, c’est une grande réussite. La mise en scène de Kusturica est magistrale. Rien que le début, sous le cercle polaire annonce la couleur. Un travail d’une grande précision, aux scènes parfaitement réglées, c’est un excellent boulot que nous fait là le réalisateur. La photographie est elle aussi très esthétique. Le film date de 1993 et pourtant le résultat est sublime, souvent magique. La séquence finale avec Lili Taylor est d’une beauté à couper le souffle, une des pièces maitresses du cinéma. Les décors sont non moins recherchés. On sent très clairement qu’il y a derrière une réelle réflexion, et qu’ils n’ont pas été choisis au hasard. Alors certes ils ne paraitront pas sublimissimes, mais l’essentiel dans un film, c’est que les décors répondent à une interrogation du réalisateur et ne soient pas juste là pour habiller. Enfin que dire de la musique ? C’est le summum du film, le point culminant. La bande son est culte, Goran Bregovic et Iggy Pop ayant conjugués leurs talents pour un résultat étincelant. Le générique notamment est superbe, mais alors il y a la musique, Death de Bregovic qui est d’une puissance exceptionnelle. Elle berce la fameuse scène finale avec Lili Taylor et Johnny Depp, et elle transporte complètement ce moment de cinéma. C’est d’une beauté écrasante, et je pèse sincèrement mes mots.
Pour conclure, Arizona Dream est un métrage incontournable. Il convient de le voir au moins une fois. Il pourra peut-être déplaire à certains par sa narration particulière, mais honnêtement, pour le reste, il n’y a rien à redire. C’est un métrage tout simplement maitrisé de bout en bout, et le résultat est là, tonitruant. Un grand moment de cinéma, d’une poésie enveloppante, teintée de rires et de larmes, avec quelques passages qui marquent l’esprit durablement tant ils sont beaux. Il n’a pas reçu beaucoup de prix en festivals, mais ce n’est pas le premier chef d’œuvre à coté duquel ces-derniers sont passés.