Bertrand Blier, explorateur de fantasmes depuis 1963 : cette fois-ci, gagner au loto. Avec Campan campant le chanceux & Bellucci l’italienne qui sert de trophée (elle a l’habitude), on a déjà de quoi écrire en amateur un paquet de scénarios possibles. C’est d’ailleurs souvent comme ça avec lui : des esprits torturés, une grivoiserie facile, une confiance trop vite accordée mais, surtout, une histoire peu épaisse qui avance toujours au plus direct.
Avec le temps, son style s’est même encore épuré & il est intéressant de le voir remplacer la provocation (passée de mode) par cette forme paradoxale d’absurdité née du choix le plus évident à faire pour les personnages. De plus en plus, Blier recherche la déconstruction des normes, mais peut-être sa quête du fantasme est-elle en réalité aussi désuète que la provocation : Combien tu m’aimes est une étude, presque un simple croquis d’un repère hypothétique où l’impudeur ne serait pas surréelle.
Pour exorciser ce surréalisme qui le poursuit, c’est dans la forme qu’il l’ajoute sciemment : quelques airs d’opéra s’ajoutent au thème entêtant qu’on entend trente fois & l’éclairage simule, en l’espace d’un instant euphorique, une saison chaude qui s’invite dans la froide grisaille parisienne. Une fois pris dans ce filet de contresens, le spectateur n’a plus d’autre choix que d’admirer les textes, des phrases bateaux lâchées les unes après les autres comme des politesses, sans être tout à fait pensées ni crues par celui qui les exprime, sauf que, chez Blier, elles résonnent contre les murs d’un univers qu’on reconnaît – c’est le Paris nocturne, le décor de centaines de drames français – sauf que (×2) quelque chose cloche & qu’on est incapable de déterminer quoi.
Je n’aime pas du tout Bellucci & c’est peut-être pour cela que je l’ai trouvée trop réelle, trop ”elle-même” dans ce décalage ambiant, quoique Depardieu n’est pas passé loin de me faire le même effet – il a longtemps été chez Blier le moteur même qui faisait avancer ses scénarios vers son oxymore fétiche de ”logique inattendue”, & il supporte un peu mal d’en être cette fois l’outil.
Mais leurs rôles sont plus complexes que le réalisateur lui-même ne semble l’avoir cru : leurs tiraillements se superposent à des intérêts qui divergent au gré d’émotions trop assumées (le personnage de Depardieu se prélasse dans son machisme & Bellucci incarne encore un peu l’idée de la femme selon un Blier plus jeune : un objet, mais un objet qui sait aussi s’y prendre pour objectifier l’homme), & le résultat gagne en arborescence ce qu’il perd en continuité.
Légèrement symptomatique du pétage de plombs, Combien tu m’aimes explore des directions raréfiées pour Blier qui serait peut-être plus volontiers resté dans les années 70, mais il obtient l’essentiel : il crée, on le reconnaît, & c’est neuf.
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