«Je te fais pas de mal mais du bien, il y a longtemps que tu as envie de ça. »
Dernière oeuvre et œuvre méconnue du grandissime Henri-Georges Clouzot, La Prisonnière démarre sur une scène glauque suivie d’une autre survoltée où Gilbert, le personnage interprété par Bernard Fresson, artiste contemporain, se prend à un jeu visuel en mouvement, fait de formes, de lignes, de couleurs. On en arrive enfin à une salle d’exposition d’art cinétique où se bousculent une foule inouïe de figurants de luxe (Pierre Richard, Hélène Duc, Charles Vanel, Michel Piccoli). Le directeur, richissime amateur d’art, Stanislas Hassler, est incarné par un excellent Laurent Terzieff troublant et froid.
Art cinétique, donc, une étude sur le mouvement et la modernité, le premier thème est posé. Le second l’est depuis la première minute, il s’agit du corps soumis avec, en filigrane d’abord, le viol. José, la femme de Gilbert et monteuse audiovisuelle à l’ORTF, interprétée par Elisabeth Wiener, se prend alors au jeu de la curiosité et du voyeurisme, manipulée par Hassler. Elle travaille en parallèle sur les rush d’interviews de femmes violées.
La réalisation de Clouzot est à l’image du premier thème : lignes en mouvements, couleurs parfois criardes malgré le gris parisien, mélange de métal et de baroque. La scène du shooting photo avec Dany Carrel, scène inquiétante, à la fois sensuelle et sulfureuse, garde, 55 ans plus tard, la même puissance évocatrice. Clouzot n’est pas le maître absolu du suspense à la française pour rien, qu’on se souvienne du Corbeau (1943), du Salaire de la Peur (1953) ou des Diaboliques (1955). A 61 ans, il démontrait qu’il était capable de réussir une œuvre avant-gardiste.
Jusqu’au dénouement final, les scènes s’enchaînent dans un climat de plus en plus lourd de violence psychologique, d’attraction/répulsion, mouvement qui fait penser aux œuvres d’art cinétique présentées au début du film, effets de miroirs mobiles, lignes et lumières qui s’entrechoquent. La scène en Bretagne dénote cependant et on se demande pourquoi et comment on a basculé dans une espèce de bluette assez gnangnan, s’il n’y avait le rappel visuel constant des cordes et des chaînes.
Film parfait sur un plan visuel, assez bien interprété, scénaristiquement très bien amené même si un peu défaillant sur la fin, La Prisonnière garde durant une bonne heure tout ce qui a fait le génie de Henri-Georges Clouzot.