Sorte de pendant français à Blow Up, Clouzot nous plonge, pour son dernier film, en couleur, dans un véritable enfer.
L'enfer intérieur d'un galeriste pervers, impuissant, incapable d'aimer, qui se réfugie dans la photographie malsaine, sadomasochiste, seul univers où il parvient à rendre des femmes soumises. Cet enfer est donc double, et la Prisonnière, la douce Elizabeth Wiener, y plonge sous deux formes : la première en découvrant la dernière exposition dans l'immense galerie de Terzieff, se perdant entre ces œuvres mystérieuses, hypnotiques, labyrinthiques (comme un dédale sorte d'allégorie des vices de cet homme, de sa folie), la seconde, par curiosité, en assistant elle-même à une séance photo, la poussant ensuite, par amour - ce qui se révèle assez ironique puisque jamais cela ne sera réciproque - à être elle-même au centre de ce "jeu" pervers.
La caméra de Clouzot n'omet rien, nous plongeant dans une constante angoisse, et le spectateur voyage entre ces œuvres d'art morbides, presque effrayantes, et les séances photos du galeriste. Elle frôle les personnages, que ce soit les corps de ces jeunes modèles nues ou le mélange de peur et d'excitation qui se lit constamment sur le visage de Wiener, ou encore l'air manipulateur et autoritaire de Terzieff, ravi de mettre cette femme à ses pieds.
Là où Clouzot se révèle un génie, c'est qu'il parvient à sortir de ce cadre, qui pourtant pourrait se suffire à lui-même (se contenter d'une descente aux enfers banale de Wiener aurait pu faire l'affaire) et ce à plusieurs reprises. Les deux personnages, s'étant pourtant avouer toutes leurs différences, partent en vacances à la mer, et Clouzot nous offre une scène d'un grâce folle, ces deux pseudo-amants se retrouvant près des vagues houleuses, sur un rocher perdu (prisonniers, où ça ?) ; l'idylle va se croire réelle, mais ne le sera jamais. Lui, par peur que ça se sache (elle s'apprêtait à écrire des lettres parlant de cette relation), fuit. Le spectateur aura cru qu'il pourrait réellement l'aimer, au sens commun du terme, loin de ses vices tortueux.
Le mari et le galeriste s'affrontent, sur les toits de Paris, et quelques vérités éclatent. La prisonnière est partagée entre ces deux formes "d'amour", la prison s'étend. Elle frôle la mort, préoccupée par ce tournant de vie, et se retrouve dans le coma, clouée sur un lit d'hôpital ; la prison s'étend encore. Elle rêve, et Clouzot évolue encore, nous offrant quelques minutes expérimentales démoniaques, on se croirait dans Persona de Bergman, on voyage entre les personnes, qui pendant un temps ne font plus qu'un, elle assiste, soumise, à ce déchirement, et semble autant en souffrir qu'en prendre plaisir.
La prisonnière, c'est elle. Le prisonnier, c'est le galeriste, enfermé dans ses mondes. Le prisonnier, c'est le mari, considérant sa femme soit "comme une sainte ou une putain", incapable d'avoir une conception plus large, incapable de vouloir comprendre.