Pour son dernier film, Fellini n’en démordait pas : le doublage, sciemment imparfait, devait servir à “doubler” son univers surréaliste & à le mettre à “l’imparfait” d’une époque décalée comme un pied-de-nez à une vague réaliste qu’il a prise à contre-courant. Difficile d’y déceler un côté volontaire puisque c’est le stigmate des navets, mais de le voir aborder les années 1990 avec cette détermination laissant loin derrière elle le côté cheap de la mauvaise post-synchro, cela parvient à nous faire voir autre chose qu’un Litan italophone.
Benigni sera le dernier grand qu’emploieront les castings du génie ; l’éternel jovial est ici rempli de questions & de doutes, dans une indécision qui n’a d’égaux que les rêves de plus en plus pénétrants & la réalité de moins en moins sensée s’enroulant autour de sa folie. Pour le coup, c’est une folie folle et sans débordements qui s’agite avec calme & maîtrise.
Jouant sur les proportions, faisant passer un lit pour immense & tenir la Lune dans un hangar, puis créant le mouvement de l’extérieur par celui (trompe-l’œil) de la caméra qui regarde par une fenêtre, le réalisateur parvient à créer son monde le plus sobre & surnaturel, mais aussi le fruit avoué d’un arbre (trop) unique : son expérience. C’est le cœur de Fellini qui parle sur pilote automatique, confirmant que l’artiste n’a pas connu de pente descendante, mais évoquant un peu tristement ses dernières visions.
Produit dans une sorte d’atelier créatif de l’improvisation, La Voce Della Luna est serein, en fait sélène ; parfois on croit sentir l’Enfer sourdre depuis cet “autre côté” à la nature changeante, jamais très éloigné, dans lequel on sombre depuis un trou dans un toit, la folie d’un autre, une porte ou un champ. Peut-être cela vaut-il mieux de se le remémorer comme cette espèce de passage de la lumière aux ténèbres plutôt que comme la forme concrète & trop brute de la Lune déclamée par Cyrano – lui aussi faisait ça pour gagner du temps.
Fellini essaye d’en rajouter mais il manque de conviction dans la folie ; son film, coupé aux racines de la spontanéité malgré le culte de l’impro, reste coincé dans son monde d’enfer & de réel comme les esprits tourmentés qui le peuplent.
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