Immortalisée par son âme de fillette de 14 ans, Susie Salmon (La jeune et charmante Saoirse Ronan, d'ailleurs remarquable ) observe, depuis un paradis façonné à l'effigie de ses rêves d'antan , sa famille en deuil et son redoutable assassin.
Sur ces bases narratives simples, Lovely Bones entremêle les intrigues, superpose les enjeux dramatiques et multiplie les personnages. Le travail de montage de Jackson est à ce titre impressionnant dans son jusqu'au-boutisme, quasiment chaque séquence étant mise en perspective avec une autre.
Une manière inconsciente , sans doute, de relier directement le monde des morts et celui des vivants, sans avoir à expliciter plus que de raison les rapports de cause à effets attendus. Car Lovely Bones s'éloigne très vite du film de fantôme traditionnel; pas de poltergeist ici , pas plus que des draps en mouvement ou des portes qui claquent dans la pénombre. Concept très littéraire, et donc loin d'être évident à retranscrire en termes cinématographiques, mais rien n'est impossible pour Peter Jackson!
Susie communique émotionnellement avec ses proches, et ses propres états d'âme ( tout ce qui lui reste, en somme) influent tacitement sur leurs agissements. Affichant un goût prononcé pour le surréalisme ( les tableaux new age de l'entre-deux-mondes sont à ce titre somptueux), Jackson a l'audace de ne pas poser de mot précis sur les phénomènes ici relatés, et signe comme si de rien n'était le film fantastique le plus plausible qu'on ait pu voir depuis longtemps. De fait, l'argument fantastique en lui même n'est pas ici le principal centre d'intérêt du dit réalisateur. Il semble ici se dessiner , entre les images de LB, le portrait d'une Amérique à la veille d'une sévère gueule de bois. Situé au début des années 1970, le roman d'Alice Sebold abordait déjà cette période d'insouciance illusoire , et Jackson choisit de souligner le basculement d'un rêve américain idéalisé vers une société consciente de sa propre déchéance, appelée à se complaire du jour au lendemain dans une relation d'amour-haine avec la figure du serial killer.
Pertinent, Jackson confronte tout au long de LB deux imageries antinomiques, jusqu'à balader son "ange" dans les souvenirs macabres de son croquemitaine.
Une séquence remuante, de même que cet instant glaçant où Susie surprend son bourreau allongé dans son bain, des traces de sang de son crime étalées sur le sol avec une négligence presque arrogante.
Il était pourtant tentant, dans ce contexte, de pencher pour un film d'enquête conventionnel ou bien un drame pur et simple. Mais Jackson n'avalise aucune de ces options , ou plutôt les avalise toutes deux simultanément , un genre nourrissant l'autre de manière souvent imprévisible.
Tout çà n'interdit pas quelques vrais plaisirs filmiques, le cinéaste rendant hommage à Alfred Hitchcock au détour d'au moins 3 séquences. En outre, certaines scènes peuvent se vanter de bâtir un suspense insoutenable en décuplant, par une brillante alternance de mouvements, un vrai silence de mort .
L'économie de moyens alimente ici un pic émotionnel d'une intensité rare, rappelant en l'espace de quelques minutes pourquoi nous sommes tous un jour tombés amoureux du 7ème art.