Clint Eastwood... Il serait présomptueux de prétendre écrire quoi que ce soit qui n’aurait déjà été dit sur ce monstre sacré du cinéma. Je vais toutefois m’essayer à cet exercice maintes fois répété.
Jeune acteur, c’est le Western qui va le révéler. En effet, c’est en tant que cowboy dans des Etats-Unis fraichement marqués par la guerre de Sécession qu’il fait ses débuts dans la série télévisée Rawhide. Mais c’est sous la férule de l’immense Sergio Leone qu’il va connaître ses premières heures de gloire dans la « Trilogie du Dollar » : « Pour une poignée de dollars », « …et pour quelques dollars de plus » et « Le bon, la Brute et le Truand » connaissent un grand succès à travers le monde, hissant son interprète principal au rang de star montante du cinéma mondial.
Dès lors, sa carrière d’acteur ne cesse de faire de lui, au grès de prestations souvent impeccables, un monstre sacré du cinéma. Ce « titre honorifique » est souvent attribué à une carrière d’acteur longue de 54 années (jusqu’à Gran Torino), mais Eastwood le doit certainement plus encore à sa passion pour la réalisation. Ses films sont généralement de facture assez classique, sans démonstration technique (si ce n’est la stupéfiante beauté des images) ni effets tapageurs, afin de privilégier des scénarios finement ciselés qui traitent généralement de l’histoire des Etats-Unis à travers des histoires humaines souvent poignantes.
Million Dollar Baby ne déroge pas à la règle. Sortit dans les salles françaises en Mars 2005, il est empreint du classicisme de son réalisateur. Dès les premières minutes, les notes de « Blue Morgan » retentissent, et vous emportent dans un modeste gymnase où flottent encore les souvenirs et les rêves brisés d’anciens boxers coachés par Frankie, et son éternel ami Scrap. C’est la rencontre avec Maggie Fitzgerald, une boxeuse quelconque à qui la vie n’a pas fait de cadeaux qui va bouleverser le quotidien tranquille de ces deux hommes.
Un talent limité, mais une envie et une abnégation sans failles pour atteindre son but, c’est un peu l’histoire du rêve américain, du self-made man qui part de rien avant de construire son empire. Partant d’un synopsis assez basique, Clint Eastwood nous livre finalement une perle narrative. Les multiples rebondissements qui accompagnent la montée en puissance de l’héroïne sont parfaitement orchestrés : ses hauts, ses bas, et la complicité qui s’installe entre les deux protagonistes que tout oppose. D’un côté, un coach sexiste frustré par la perte d’un poulain candidat au titre mondial et de l’autre, cette femme qui manque cruellement de talent, qui a déjà un âge avancé (pour une boxeuse), et qui est de sexe féminin, ce qui aux yeux de son coach constitue son principal défaut.
Au-delà de cette histoire ambivalente, faite d’ascension vers les sommets et de descente aux enfers, la qualité du film réside dans les partitions sans failles de ses acteurs, Hillary Swank en tête. Personne n’aurait pu être aussi crédible qu’elle dans le rôle de Maggie, dans ce personnage peu épargné par la vie, et qui voit ses rêves partir en fumée quant elle les touche du doigt. Sa beauté très singulière ajoute énormément de charme et d’émotion à son interprétation. Que dire, également, de Clint Eastwood et de Morgan Freeman qui n’en sont plus à leurs premiers coups d’essai, et qui montrent là toute leur expérience et leur talent dans des partitions sans fausses notes. L’ensemble des personnages qui gravitent autour d’eux s’en tirent également à bon compte, avec une mention spéciale aux différentes boxeuses et à la famille Fitzgerald, incroyable de réalisme dans des rôles ingrats.
Au-delà du film de boxe « standard », de la violence et du réalisme parfois douloureux des combats, Million Dollar Baby est avant tout un plaidoyer pour de nombreuses causes chères au réalisateur. Tout d’abord, la liberté d’autrui de disposer comme il l’entend de sa vie, à travers le thème de l’euthanasie. C’est également un vibrant hommage au sport et ses valeurs, comme l’effort, l’humilité et l’abnégation. Enfin, le tour de force de ce bijou est d’être aussi, et avant tout, un bel hymne à l’amour, tout en retenue, symbolisée par la délicate dévotion de Frankie pour Maggie dans la 3ème partie du film.
Comme souvent après un film réalisé par Clint Eastwood, on sort du visionnage avec la gorge nouée, « retourné » et mélancolique. C’est encore plus le cas ici avec Million Dollar Baby, que je placerai au sommet des réalisations de l’américain, en compagnie, excusez du peu, de « Sur la Route de Madison » ou « Gran Torino ».