Chronique du film. On s’est payé Lee Marvin pour un western français et mieux, beauceron ! Nos grandes plaines à nous ! Lee Marvin, les enfants ! Mon acteur américain fétiche. Mon acteur américain préféré. L'Américain tel que je me le représente au cinoche. Une gueule pas possible de boss de la péloche, moitié cowboy, moitié US Marines (ce qu’il fut pour de vrai durant la Guerre du Pacifique) et re-moitié truand derrière. Il a mis du temps à percer mon Lee. Cantonné aux rôles de méchants pendant presque 15 ans avant de passer du côté lumineux du grand écran. Tueur bestial défiguré au café bouillant dans The Big Heat (Règlements de Comptes), marin crapoto (mais super sympa) dans Ouragan sur le Caine (The Caine Mutiny), fini au plomb par John Wayne dans L'Homme qui Tua Liberty Valance (je vous mets pas le titre original, j’ai la flemme) ou encore bastonné par Brando dans l'Equipée Sauvage (The Wild One). C'est face à Ronald Reagan himself, dans son seul rôle de salaud à l’écran -et le dernier rôle de sa carrière au cinéma, dans A Bout Portant (The Killers) en 1964, qu'il commencera à devenir vraiment bankable pour devenir un premier rôle malgré sa figure improbable. Son image va se polir pour occuper désormais la place du gentil-mais-pas-trop-mais-gentil-quand-même, enfin bref, gentiment américain tel qu'on le voit chez nous, quoi, sur les affiches. Une bête de guerre (tiens, super film d’ailleurs).
Il devient une star. Et nous, en 1983… On s'est payé une star d'Hollywood : roule ma poule ! On va se lâcher !
Se payer une star US dans le petit cinoche français de l’époque oh, et puis même maintenant et avant, c'est un peu comme rentrer chez Porsche et en ressortir au volant d'une 718 Cayman jaune pour faire le dingue avec. Hop direct flashé à 190 à plus de 100 km de son domicile. Excusez moi M'sieur l'agent, j'ai pas vu le temps passer. Et pi faut pas gâcher. On n'a pas trop les sous, mais on a un budget quand même, alors on prend le premier prix sur lequel on va poser quelques options, soyons fous. Allez. Porsche jaune. Mais pourquoi le jaune ? Bin parce que bon, le jaune, c'est allemand. Enfin moi, c'est comme ça que je vois les choses. Jaune : allemand. Allemand : jaune. Parce que les casseroles d'hélice des Fokker dans les Jasta de la première guerre mondiale ou les nez jusqu'à la vitre blindée des Messerschmidt 109 de la Bataille de France. Tous les gars qui ont eu un grand tonton pilote mort pour la France en 40 savent ça ! C’est pour avertir du danger. On voit arriver de loin les problèmes et on sait que ça va cogner. Ça va ratatouiller au canon mitrailleur et va y avoir de la viande grillée hurlante dans des cockpits en flammes. Vive la France quand même. Bref. Quand c'est jaune, c'est vrai allemand comme quand c'est Lee Marvin, bin c'est vrai cinoche américain. On s'est payé ça. No smoking and fasten your seat belt.
Et nous, de l’autre côté, bin,… le coup d’gnôle, la baïonnette au canon et on sort de la tranchée au coup de sifflet ! Feu roulant.
Alors quand il est sorti sur les écrans, cet OVNI, il en a défrisé pas mal. Moi, je l'ai vu au MK2 de Beaugrenelle, sauf que ça ne s'appelait pas encore MK2 (et d'ailleurs ce n'est plus un MK2, mais une usine à viande géante type Texas Slaughterhouse Big Company. Mais pourquoi je dis ça, j’en vois qui ont déjà décroché). Il en a défrisé pas mal. Parce que bon, tu mets un réalisateur typé "de gauche" avec un dialoguiste bien typé "de droite", tu mets dedans une Porsche jaune, ah non pardon, Lee Marvin en noir, et tu obtiens un film gigantesque, certifié "Cochonou le cinéma bien de chez nous". Mais en Cinemascope ! De la violence paroxystique.
Des gros flingues et des gros bazookas pour un braquage dans une sous préfecture paumée. Des grosses cylindrées européennes et surtout pas françaises. Des hélicos avec le GIGN dedans. Des nymphomanes boiteuses, des ploucs que Texas Chainsaw Massacre c'est pas qu'au Texas. Des boui-bouis façon Lulu la nantaise où que quand t'es le notable ultime du coin, c'est le seul endroit sur terre où tu peux t'y faire fouetter tranquille, en toute discrétion. Et un final avec un bateau en béton dressé sur sa quille à 300 km de la mer. Yes!
Un film qui a toujours son utilité sociale, culte ! Pour faire causer dans le poste. Nan, je viens d'en voir une re-critique récente dans l’Obs, j'ai rigolé, j’en pouvais plus. Exutoire à la critique de gauche urbaine en trotinette équitable pour stigmatiser la France rance qui fleure bon le lisier de nos vilaines provinces crottées et déjà gilets jaunes pas gentils, cependant que de l’autre côté, il sert d'autel au jouir sans entrave d'une critique de droite rurale, ostensiblement manspreading. Cisgenre hétéro binaire quinqua blanc en tracto-pelle diésel et gitane maïs au bec. File moi tes dollars. Toutes les deux ont en commun de hair la France pour ce qu'elle n'est pas à leurs yeux. C'est pour ça qu'on aime Céline d'ailleurs de ces deux côtés. Pour la haine d’autrui, quel qu’il soit.
Mais moi, je m'en fous de ça. Ch'uis peut-être un peu réac, mais je suis bien élevé, et j’aime tout le monde. D’ailleurs je laisse toujours ma place aux invalides de la guerre de 14.
Il y a Lee Marvin tout en noir dans les blés mûrs courbés par le vent sur la plaine. Comme une fleur de mauvaise graine qui pousse sur le terreau improbable d'une humanité qu'on croirait tout juste sortie des cavernes. Tribale, hargneuse, mais qui a la grâce de l'engrais qui fouette : celle d'en faire sortir les roses. C'est pas français, c'est universel. Mais le génie français, c'est de s'être payé Lee Marvin pour faire ce film de dingue.
J'ai deux tontons d'Amérique. John Lee Hooker pour le blues et Lee Marvin pour le cinoche. Deux gueules cassées, deux voix brisées.
Et moi, en vérité, je vous le dis : y'a plus de vrai cinoche depuis que Lee Marvin est mort.
Moteur... Action !