En Virginie, au début du XVII° siècle, trois vaisseaux anglais remontent la rivière, comme dans «Apocalypse Now». Mais eux ne s’enfoncent pas au cœur des ténèbres. Non, la noirceur, ce sont ces colons en armes qui l’amènent sur ce continent vierge. Pour preuve, le premier acte qu’ils s’apprêtent à commettre à peine débarqués, s’est de pendre le capitaine Smith en punition de son insubordination.
Gracié in extremis, il se voit confier la mission d’entrer en contact avec le roi indien de la contrée. Au terme de son expédition, sa troupe est décimée et, seul rescapé, il est fait prisonnier. Clairvoyants, les conseillers du roi prévoient qu’après cette poignée d’Anglais qui tentent de bâtir un fort sur un marécage, d’autres viendront, puis d’autres encore ; ils demandent la mise à mort de l’émissaire. Le roi se laisse convaincre par sa plus jeune fille Pocahontas, et lui accorde la vie sauve.
Il passe quelques mois dans le camp, le temps de découvrir que la jalousie, la haine ou la rancœur sont inconnues de ce peuple. Le temps aussi de tomber amoureux de la jeune princesse. Libéré à condition de partir au printemps, il prend le commandement de la colonie à la dérive, et trahit sa promesse… Terrence Malick a construit son film comme un opéra. D’abord, en accordant une place importante à la musique (Mozart, Wagner, James Horner) pour ponctuer les plans magnifiant les paysages de la Virginie aux différentes saisons.
Ensuite, en adoptant un rythme proche de celui d’un drame lyrique, où l’écoulement du temps n’est plus celui de la réalité : il prend le temps de montrer de manière chorégraphique l’approche des colons par les indiens, plus curieux qu’agressifs, qui ont besoin de toucher, de sentir ces êtres étranges, ou encore les incantations de Pocahontas aux forces de la nature qui l’enveloppent et la protègent, ou même la gangrène qui ronge les corps et les âmes des Anglais pendant l’automne et l’hiver nord-américain.
Pour cela, il utilise une caméra mobile, avec de curieux raccords entre deux plans quasi-identiques, qui créent ce sentiment d’étrangeté, et beaucoup de plans larges pour replacer l’homme à son échelle. Et puis, parfois, le rythme s’accélère, un plan, une phrase suffisent à annoncer une ellipse de plusieurs mois. Un montage cut, qui fait débuter une scène par un panoramique déjà en mouvement accentue cette élasticité du temps, comme si les actions des hommes avaient moins d’importance que leurs émotions ou leurs sentiments. Constante chez Malick, les voix-off des personnages, dont on ne sait si elles indiquent des flash-backs ou juste leur pensée de l’instant, ponctuent le récit et accentuent la dimension poétique.
Le personnage principal, c’est Pocahontas. D’ailleurs, quand Smith l’abandonne pour chercher de nouveaux passages vers les Indes, on reste avec elle, témoins de son chagrin, puis de sa rencontre avec John Rolfe, et enfin de son voyage en Angleterre où elle est traitée comme une princesse, et reçue par le roi dans une scène époustouflante. Malick a eu l’intelligence de confier ce rôle à une débutante de 15 ans, l’âge de Pocahontas au moment de sa rencontre avec Smith. Certains spectateurs peuvent trouver que le film est long. Mais pour ceux qui se laissent prendre par le torrent d'émotions visuelles, auditives et sensibles (et j'en suis), la fin du film nous laisse déjà nostalgique, comme réveillé d'un rêve définitivement perdu, à l'image de la princesse, et sans doute à celle de son céateur.
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