Sophocle ( je crois ) a dit un jour ( il y a très longtemps ) qu'il valait mieux pour l'homme qu'il ne naisse jamais. Evidemment Sophocle ( je crois ) ne connaissait pas les films de Terrence Malick.
Deux rencontres. Deux personnages, John Smith et Pocahontas. La première rencontre a lieu sur le continent américain, au milieu d'une nature sauvage, libre, d'une beauté que seul l'oeil de Terrence Malick peut filmer avec une telle grâce. La seconde - les retrouvailles - a lieu en Angleterre, au milieu de jardins trop parfaitement entretenus, et sans âme. Toute l'évolution des personnages mais aussi du style du film est synthétisée entre ces deux moments séparés d'environ une heure et demie.
Car Le Nouveau Monde peut être " divisé " en deux parties : la première est celle qui voit l'union entre les deux héros. Le film est alors traversé d'un souffle dévastateur de beauté, de plans dont le caractère sublime atteint des sommets, où le spectateur - étonné par le sorcier Malick - repousse à chaque fois les limites de l'extase qu'il croyait avoir atteint avec le plan précédent. Débarrassons-nous tout de suite du seul défaut du film - qui n'est évidemment qu'une chose minime devant l'orgie de qualités qu'il offre - soit un rythme un peu trop rapide dans le montage, un manque de quelques secondes à la fin de certains plans et la désagréable impression que Malick - comble ! - ne laisse pas le temps de contempler pleinement le spectacle visuel qu'il propose. Mais c'est tout, et il y a à côté de cela un pur enchantement plastique, une émotion toute particulière à la vue de certains plans pourtant tellement simples qu'on se demande pourquoi ils sont si rares au cinéma. C'est sûrement que le génie de Malick est de rappeler au spectateur que la pureté du monde est plus accessible qu'il ne le pense, plus simple que toute autre chose.
Il est difficile de ne pas être dévasté intérieurement par une oeuvre comme Le Nouveau Monde, tellement simple, tellement évidente qu'en naît une puissance de frappe incomparable qui atteint le spectateur en plein coeur. Malick réussit ce qu'aucun autre - ou très peu - parvient à faire : il fait parler la Beauté. Et cet acte inédit offre un cachet unique à son film, oeuvre à part et tellement nécessaire. L'histoire d'amour m'a paru moins importante cette fois - même si évidemment c'est le sujet premier du film - parce que justement le poème visuel écrit par Malick ne me lâchait plus. Je n'en rajoute pas, il faut le voir tout simplement.
La seconde partie du film peut paraître moins bonne que la première, et c'est sûrement vrai. Mais cela est dû à un changement radical caractérisé par le personnage de Pocahontas : en quittant les siens pour rejoindre la colonie, elle va être contaminée par le vice et perdre son identité, sa sauvagerie si belle qui impressionnait le spectateur lorsque, au début du film, elle courait librement à travers les herbes. En arrivant chez les anglais elle ne porte plus qu'un vêtement qui la serre, elle s'uniformise - à tous les sens du terme - et le film perd volontairement de cette beauté contenue en lui jusqu'alors. Malick, à cet instant, s'autorise moins d'apartés pendant lesquels il filmait un éclair, un oiseau, une branche d'arbre comme si cela était dû au hasard ( alors que ça n'est pas le cas, ces passages semblent seulement inscrire la Nature dans une espèce d'Eternité quand les hommes eux, sont amenés à mourir. Malick évoque ici la supériorité de la Nature sur l'Homme ). L'intelligence du réalisateur est donc de faire concorder plus que jamais la forme et le fond du film. Quand les jardins d'Angleterre entrent dans le champ, la caméra du cinéaste n'est plus aussi enthousiaste qu'elle ne l'était durant la première heure magique du film. C'est un discours d'une pertinence rare sur le monde des native americans et celui d'une civilisation occidentale corrompue par le Mal.
Un des plus grands films de l'Histoire du cinéma...les plus beaux paradis sont définitivement ceux que Malick filme.