Très bon quatrième film de Terrence Malick, un tout petit peu en retrait des trois autres, je trouve, mais quand même dans la continuité de ses thèmes préférés. Deux mots vite fait sur le synopsis, mais ça n'a aucune importance : Terrence reprend ici l'histoire supra-connue de Pocahontas, donc dans le cadre général du XVIIème et de ses grandes expéditions exploratrices, de la découverte des sauvages et de leur asservissement progressif. Bon évidemment, tout ça est bien retranscrit, aucun problème de crédibilité ou d'identification, on connaît le travail de Terrence. Bon maintenant l'essentiel, c'est-à-dire le fond, les idées : Malick reprend plusieurs de ses thèmes fétiches, notamment, bien sûr, celui de la nature primitive, originelle, profuse, infinie (infiniment supérieure) avec des plans toujours aussi beaux du Nouveau Monde (alors évidemment ça peut lasser, puisqu'on retrouve ce thème de manière quasi obsessionnelle chez Malick ; mais quand même, c'est noyé dans un tel esthétisme, dans un tel grain d'image, dans un cadrage et une lumière si réfléchis... ça ne me dérange vraiment pas plus que ça, et pourtant, je viens de m'enfiler les quatre films de Malick à la suite...).
Autre thème qui revient, et directement lié à celui de la nature : celui de l'espace (opposé à celui, si l'on veut, de la temporalité de la conscience) : dans La balade sauvage, c'était une exploration mais à finalité intensive (une sorte d'amour tournoyant jusqu'à la mort, des autres et de soi, en recherche d'intensités), dans Les moissons du ciel, c'était une migration économico-sociale, pour travailler, pour subvenir à ses besoins, pour survivre, dans La ligne rouge, c'était un assaut, l'attaque d'une île détenue par les Jap's, une invasion militaire, un débarquement guerrier. Ici, dans le Nouveau monde, on retrouve un peu de tout ça : l'exploration d'abord, mais à l'échelle du monde, de territoires inconnus pleins de promesses vitales, la migration ensuite de l'Angleterre pour manifester sa puissance économique sur le reste du monde, et enfin l'expédition militaire, qui saura user de violences en tous genres afin d'asservir de nouveaux territoires et de nouvelles populations. Bref, apothéose, je trouve, dans Le nouveau monde, de ce thème de l'espace : espace nouveau, absolument étranger, radicalement vierge. Par rapport à cela, deux usages possibles, que le film distingue bien : d'une part, et de manière positive, les thèmes du voyage, de l'aventure, de la découverte, de l'ouverture aux cultures et d'une manière générale à l'altérité, à l'Autre (ce qui suppose un passage, une porosité, une transitionnalité entre les deux pôles, et ici, c'est l'amour qui va servir de point d'ancrage). D'autre part, et c'est cette manière négative qu'il l'emporte finalement, l'imposition de sa propre culture, la contamination et l'absorption de l'autre dans soi, donc d'une manière générale une asymétrie indépassable qui fait du Même (de soi) le supérieur de l'Autre.
Autre thème qui revient, et là je suis content parce que je ne voyais pas très bien comment Malick pouvait traiter ça, mais c'est présent malgré tout : le thème de l'indéfini humain, le thème "des" hommes contre les singularités et les individus, ce qui se manifeste surtout à travers la suppression du prénom au profit du nom dans les oeuvres précédentes. Et bien là, ça se vérifie sous deux formes : la première c'est le héros, John Smith (Colin Farrell, très bon), explorateur dans l'âme, découvreur par définition, qui à la suite de sa rencontre avec cette nature primitive et surtout sa relation amoureuse avec Pocahontas, veut quitter tout ce qu'il est, ce qu'il représente et ce à quoi il appartient pour se perdre dans cette vie harmonieuse du Nouveau monde. Il y a cette phrase, quand même, pas mal du tout, prononcée en off, comme souvent chez Malick : "Recommence tout ; échange cette fausse vie contre une vraie ; abandonne le nom de Smith". Bon ça dit tout, je crois. Seulement, Smith ne va pas jusqu'au bout, et abandonne nature et femme pour... on ne sait pas trop pourquoi, en fait, la peur de réussir. Deuxième occurrence, et inverse, puisqu'il s'agit de l'autre sens, avec Pocahontas, qui se voit contrainte à vivre dans la culture des Anglais, mais qui d'une part a perdu son nom, enlevé avec son amour perdu ("elle ne veut plus d'aucun nom"), et qui d'autre part doit être rebaptisée par l'Eglise anglaise, "- Nommez-la ! - Rebecca". Bref, les noms chez Malick sont toujours en décalage par rapport à la réalité : le nom sonne toujours faux, il est toujours la marque de l'ignorance de l'être en question. Le nom efface ou tue toujours ce qu'il nomme, plutôt qu'il ne signe la singularité ou l'idiosyncrasie d'une personne.
Critique complète sur le Tching's Cine (note finale 16/20) :
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