Qui connaît Edgard G. Ulmer aujourd'hui ? Quelques cinéphiles curieux. Et hormis «Detour» ? Réalisateur de «The Naked Dawn» (USA, 1955), Ulmer offre un des westerns les plus singuliers (avec, entre autre, «Rancho Notorious»). Hawksien à sa manière, Ulmer dans un paysage de western, sur une terre aride où luttent la nature de la raison et les raisons de la nature, taille la place pour que se développent les affinités d'un trio. Santiago (Arthur Kennedy, réjouissant dans l'économie de son jeu) vient de laisser son ami d'enfance mort au bord d'un sentier après qu'ils aient volé une grosse somme d'argent. Poursuivant sa fuite, Santiago rencontre un couple de jeunes mariés domiciliant dans une modeste baraque. Composé d'un jeune homme excité, Manuel, et de Maria, une femme dont la beauté égale la luxuriance pâle de la photographie du film, ce couple va se découvrir, au contact de Santiago, un goût pour l'aventure. A travers ce bref dispositif narratif, Ulmer, comme tout grand réalisateur de western, sculpte le portrait d'un foyer au contact des récits d'aventure. Santiago fait saillir de Manuel sa volonté de pouvoir et sa soif de violence, de même qu'il exhume de Maria ses désirs de voyage et de passion. Jouant le rôle de révélateur, au sens technique de la photographie, Santiago permet aux clichés de la famille que sont, à prime abord, Maria et Manuel d'exprimer leur véritable volonté refoulée. Dans un cadre relativement clos, hormis lors de scènes ponctuelles, chacun de deux membres du couple, accompagné de Santiago, agit avec un comportement qui lui est étranger. Parmi ces scènes, la plus remarquable reste celle où Santiago décrit un bord de mer à Maria. Le pistolero se mue un instant en jeune romantique. Ces mutations qu'Ulmer décrit avec une modestie exemplaire use du western comme d'un genre intimement idoine pour exprimer le sentiment selon lequel l'idéal du foyer etats-unien renferme une souffrance qui, libérée, exorcise une rude violence.